Poèmes

La Génèse

par Léon Barracand

La nature, timide et d’un doigt encor gauche,
De tous les animaux essayait une ébauche
Qui, cent fois délaissée et reprise, devait
Se modeler sans cesse aux corps qu’elle rêvait.

Ainsi l’once, l’auroch, l’aigle aux puissantes ailes,
Le renne au front boisé, les cerfs et les gazelles,
Sortirent, par degrés, achevés de ses mains.
Mais elle fit aussi, pour l’effroi des humains,
Mêlant le grandiose au terrible en leur être,
Ces colosses de chair qui devaient disparaître :
Le mastodonte affreux aux gigantesques os,
L’andrias, le mammouth, l’ancien rhinocéros,
Le mégalosaurus et le ptérodactyle,
Et tous ces noirs géants dont la glace ou l’argile
Ont dans leurs profondeurs gardé les ossements.

Monstrueux, l’emplissant de leurs barrissements,
Ils allaient, écrasant la forêt et ses hôtes.
Il n’était point pour eux de montagnes trop hautes,
Car leurs grands pieds, plus prompts que les pieds de l’élan,
De la base au sommet les portaient d’un élan.
Ils allaient, dépeuplant monts, vallons et rivages ;
Et quand ils rencontraient quelques troupeaux sauvages
De chèvres, de béliers, de daims aventureux,
Comme un vent d’ouragan ils s’abattaient sur eux,
Et, d’un coup de mâchoire ou de défense ou d’ongle,
Les couchaient par milliers dans le sable ou la jongle.
Ils passaient au milieu des animaux tremblants.
Cent boas n’auraient pu s’enrouler sur leurs flancs ;
Les griffes du lion, les crocs de la panthère
S’y rompaient. Ils étaient les maicres de la terre.
Et comme devant eux tout fuyait alarmé,
L’homme parut, petit, nu, faible et désarmé.

D’où venait-il ? Il n’est personne qui le sache, —
Hors Celui qui le fit, et dont la main se cache.
Il était né malingre, et sans griffes ni dents,
Sans poils, jouet du froid et des soleils ardents,

Être à peine ébauché, médaille mal venue
Dont on devait briser la matrice inconnue.
Mais il portait au front la mâle volonté,
Ses bras étaient armés par la nécessité,
Et l’âme et la raison brillaient sous sa paupière.

Terrible, et brandissant une hache de pierre,
Il se rua d’abord sur les fauves troupeaux,
Les dispersa, tailla des habits dans leurs peaux,
Et vêtit ses enfants avec leur chaud pelage.
Ainsi, noirs et grondants, chassés de plage en plage,
Il les vit disparaître, et posa pour leurs pas
Des bornes au désert, qu’ils ne franchiraient pas.
Puis, doux envers les doux, sa colère assouvie,
Connaissant mieux aussi les besoins de sa vie,
Pour alléger sa peine et soulager ses maux,
Il reçut sous son toit les autres animaux :
Tous ceux qui, vagabonds, sans gîte et nourris d’herbe,
N’avaient jamais encor plié leur col superbe,
Et qui, soumis depuis, d’un labeur journalier
Récompensent les soins de l’homme hospitalier.
L’indomptable cheval, dont l’œil en flamme éclate,
Vint, tout fier, se courber sous la main qui le flatte ;
La brebis qui paissait dans le libre gazon
Offrit avec son lait sa pesante toison;
Le chien devint alors son compagnon fidèle.
Le farouche ramier, la sauvage hirondelle
Se rapprocha de l’homme, abandonnant les bois ;
Et les bœufs mugissants vinrent tous à la fois,
Descendant la montagne aux solitudes mornes,
Sous le joug attendu baisser leurs grandes cornes,
Et, guidés par le bras armé de l’aiguillon,
Promenèrent le soc dans le premier sillon.



Poème publié et mis à jour le: 17 May 2025

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