à Fernand Cherpillod
Bain d'un faucheur
Un dimanche sans faux comblé de cloches pures
Ouvre à ton corps brûlé la gorge de fraîcheur
Fumante, fleuve d'air aux mouvantes verdures
Où tu descends, battu de branches et d'odeurs.
Ce tumulte de lait dans la pierre profonde
De quel bouillonnement va-t-il enfin briser
L'âpre bond de ta chair ravie au linge immonde
Vers une étreinte d'eau plus dure qu'un baiser !
Là-haut sous le soleil, au flanc des franges d'ombre,
Lèvres béantes, lourds de ton noir alcool,
Sommeil ! les moissonneurs te livrent leurs bras sombres
Et gisent à jamais crucifiés au sol.
Paix à ce lent troupeau de forces dénouées !
Qu'il goûte son repos sous l'aile des vergers !
Mais la dérision de ces faces trouées,
Cet amoncellement de brebis sans berger,
Cette acceptation d'esclaves, tu les nies,
Ô corps agenouillé sur le sable de sel
Dans le frémissement des feuilles infinies
Et les tonnants éclats du fleuve temporel !
Tu n'es plus le faucheur qui rêve de rosées
En regardant saigner le sang des poings mordus
Par la paille et l'épi des gerbes embrasées...
Retrouve sans frisson ton empire perdu !
Quel suspens, quelle attente attiraient ta venue !
Quel chœur mélodieux de l'azur et des eaux
Jette comme une offrande à ton épaule nue
Des averses de ciel, des orages d'oiseaux,
Des cris de fleurs, des éclairs d'écume, et ce baume
Que les troncs déchirés pleuvent dans la forêt !
Délivre ta chair fauve au cœur de ton royaume !
Laisse adorer ton sang tout un peuple secret !
Et quand tu surgiras de ces noces étranges
Où la vague devient l'épouse et le tombeau,
Donne au soleil sa suprême vendange !
Qu'il boive ce regard ! Qu'il brûle cette peau
Pacifiée, ô frère, et pose à ta poitrine,
Comme un oiseau perdu pris au miel du crin d'or,
Comme un oiseau jailli du piège des collines,
Sa douce main de feu qui désarme la mort.
Poème publié et mis à jour le: 16 April 2021