Poèmes

Poètes En Roue Libre Anthologie 4ème Trimestre solidaire avec le travail de recollection d'André CHENET Poète lui-aussi

par Alain Minod

De Elbeau Carlynx:

Quels messages obscurs ponctuent
ces milliers d'éphélides
sur le visage blafard du ciel
pétillement d'illusions
ou poussière des jours effondrés
trop de prières entassées
comme des pierres aveugles
sur la fragilité de l'horizon
les dieux ont changé d'adresse
pour sauver leurs noms
des outrages maquillés
libre est l'homme
de choisir ses chaînes
de les briser.

Elbeau Carlynx

De Sylvie Méheut:

Un poème, une chanson...
Je t'avais écrit des poèmes
Je t'avais écrit des chansons
Tu préféras d'autres rengaines
D'autres patries
D'autres saisons
Mais le temps passe sur nos peines
L'amour s'émousse entre nos doigts
Et sous le Mirabeau la Seine
Ne sonne plus comme autrefois
Et sous le pont passe la peine
Et sous le pont passe la joie
O que jamais ne me revienne
L'écho suprême de ta voix
Je t'avais écrit des rengaines
Je t'avais écrit des saisons
Tu préféras d'autres je t'aime
Tu préféras d'autres chansons
O que jamais ne me revienne
L'écho troublant de ces mots-là
Passe passe passe la peine
Vienne vienne vienne la joie
Que sous le Mirabeau la Seine
Allume son grand feu de bois
Bois de santal où bois d'ébène
La Seine fait flèche de tout bois
Passe passe passe la peine
Et que jamais ne me revienne
L'écho suprême de ta voix
Je t'avais écrit des poèmes
Je t'avais écrit des chansons
Tu préféras d'autres rengaines
D'autres patries
D'autres saisons

Sylvie Méheut

De Laurent Sallé:

J’écris pour sertir les bleus de l’enfance ressuscités dans la corolle de la marelle.
J’écris pour égoutter l’encre de la mémoire dans le chiffonnier des souvenirs
J’écris dans la rosée des mots pour assécher
le marbre des larmes
J’écris dans le cuir chevelu des syllabes pour déraciner la tresse de ton absence
J’écris pour forer la fièvre du verbe dans le nid du silence
J’écris dans la chair de l’émotion pour bouturer l’embryon d’un secret
J’écris pour amidonner la marge de la patience, d’un encrier orphelin
J’écris sur la feuille du chêne pour que le buvard de nos âmes se mélange
Et j’écris surtout dans le fumet de ta profondeur, pour biffer l’esquille d’une étincelle, dans l’aubier de la page, à la commissure d’une rature...

***

La main suspend
l’aile du silence
dans la ponte
d’un aveu
aveugle

LS&2020

De Carmen Mine:

aujourd'hui quelqu'un a tué un poème.
il lui a crié dessus.
il a crié en moi.
maintenant je suis devenue aveugle
et je commence à rêver les yeux ouverts
en réinventant le soleil
la lune la vue la joie.
et seule dans le noir je pars pour
accoucher quelque part dans le temps
je pars pour accoucher
un oiseau arc-en-ciel.

***

bohémiens chevaux sauvages avec deux âmes
sabots rebelles
peau de nuit orientale
les yeux - gaines à couteaux
lèvres de haine et d'amour
femme serpent
avec beaux seins pleins de lait
portant ses enfants comme une gloire
bohémiens reniflant leur trace
à travers l'histoire.
ils étaient comme ça
beaux et sales
en passant avec leurs
roulottes colorées
étonnés
en cherchant un répit
quelque part
entre la civilisation et la mort.

***

la nuit
ma mère cuisait des rêves
dans un ancien four d'argile.
dans son silence
mon père faisait des semelles
de la peau calleuse de ses paumes
pour des chaussures non-portées
mes yeux encore en bourgeons
ne voyant pas la profondeur des choses.
le matin
l'ombre de la pendule
montrait ses crocs édentés
et je marchais pieds chaussés
sur la peau de mon père
sans me rendre compte.

Carmen Mine

De Ahmed El Fazazi:

jour après jour
je chéris la terre
le pain qu’on partage
l’arbre qui nous parle
de la sève des racines
l’oiseau qui charme
la pluie que nous supplions
quand le sable a soif
je ne coupe plus une rose
sans entendre son cri
la terre des hommes
c’est pour tous les hommes !

©Ahmed El Fazazi – "L'ivre des sables" «Les 4 saisons» Z4 éditions

De Tuniselle Révo:

"J'aime regarder le ciel
Jusqu'à le traverser
Et qu'il me pousse des ailes
Pour y voyager"

Tuniselle Révo

De Dominique Bertrand:

- Donne la nuit -

Une lame et le temps, dansant, en la blessure.
Âpre, le roc dénude la nuée.
Donne la nuit. Donne la. Il pleut sur le monde.
A ce moment du jour qui donne dans la nuit, quand les bêtes se taisent. Quand les hommes soudain. Quand la pluie seulement.
Ce moment de la nuit qui donne dans la nuit.
C'est le puits de la nuit. Où l'obscur pour l'obscur est un miroir sans yeux, une onde sans rivages.
Qui boit de cette eau là saura ce qu'il ne sait.
Il ne bougera pas, mais le monde vers lui
Viendra fleuve en sa source.
Consentira enfin à la force des choses,
et ainsi trouvera grâce devant la mort.

- D. B.- Chanteloup 30/01/2013

De Martine Rouhart:

La distance mélancolique
entre la plainte
d’une tourterelle
et nos peines retenues

Martine Rouhart

De Robert Sanyas:

Ma mémoire abrite
des mains tendues
des visages lumineux

Robert Sanyas

De Denise le Dantec:

Tu es en état de rébellion avec le monde
Tu es l'épiphanie et la breaking new
Tu es le livre pop up de la fillette
Tu es l'oiseau tiré à la fronde et revenu sous forme de pierre
Tu es la pierre qui plante son nerf dans la berge
Tu es un train coincé dans la tuyauterie
Tu es la femme du quai au regard brumeux
Tu es mon frère à la tête de cerf perdu dans le brouillard
Tu es la bouche bruissante de mille cent conversations qui s'en vont partout comme des oiseaux
Tu es la seule clarté qui m'émeuve
Tu es l'agripaume du coeur
Tu es l'une des trois mangoustes ramenées de l'île Sakhaline par Anton Tchekov
Tu es le babil de grives que j'ai entendu hier au lever du jour
Tu es la sérénade qui me réveille tous les soirs
Tu es la fleur qui fleurit entre mes cuisses
Tu es les larmes qui ruissellent le long de mes joues
Tu es une bicyclette akatène à roues libres peinte en vert avec une petite corne
Tu es le courant des Perséides vu dans la nuit du 12 au 13 août 2020
Tu es un vert de mai palpitant
Tu es la douce bergeronnette de la chanson
Tu es le nom de ma mère et celui ma fille
Tu es le Ça de ma parole
Tu es le mur de verdure sur lequel je m'appuie
Tu es l'ange fusillé presque devant mes yeux
Tu es "Anne, ma soeur Anne "qui ne voit rien venir
Tu es celle qui souffre les douleurs dont je croyais pouvoir me détacher
Tu es le refus de tout ce qui reste et de tout le reste
Tu es celle qui s'en va
Tu es le soir qui tout à coup s'enflamme et sombre
Tu es la cendre de mes mots

Denise le Dantec

De Mostafa Houmir:

Servitude

Méfiez-vous de moi
Je suis un être ignoble
Je suis le fou du roi
Le clown, le bouffon, le guignol
Celui qu'on méprise, qu'on piétine
Celui qui plie l'échine
Le chien qui accepte les restes
Qui se contente des miettes
Du banquet royal
Et durant ce cérémonial
Il doit faire le pitre
Et divertir ses maîtres
Mais je vous attends au tournant
Pour vous trancher la gorge
Et boire votre sang
En riant!

Méfiez-vous de moi
Je suis un être horrible
Je suis sale et répugnant
Laid et repoussant
Je fais peur aux enfants
Je suis affreux et lépreux
Hideux et monstrueux
Je suis votre souffre douleur
Votre bouc émissaire
Qui endosse vos horreurs
Qui boit votre aigreur
Et vous épargne la laideur
Mais je vous attends au tournant
Pour vous trancher la gorge
Et boire votre sang
En souriant!

Méfiez-vous de moi
Je suis un être haïssable
Je suis votre miroir impitoyable
Votre visage effroyable
Votre autre inéluctable
Qui vous colle à la peau
Comme la gale
Je vous montre vos atrocités
Vous dis vos quatre vérités
Sans sourciller
Mettez-vous à genoux
Et priez!
Je vous attends au tournant
Pour vous trancher la gorge
Et boire votre sang
En psalmodiant!

Méfiez-vous de moi
Je suis un être piteux
Un hypocrite véreux
Un traitre malicieux
Aux propos mielleux
Au sourire fallacieux
Il vous dessine la vie en rose
Vous loue jusqu'à l'apothéose
Tout en prenant vos mesures
Il met son armure
Vous met en bière
Et vous transfère
En enfer!
Je vous attends au tournant
Pour vous trancher la gorge
Et boire votre sang
En ricanant!

Méfiez-vous de moi
Je suis un être servile
Votre laquais, votre serviteur
Celui qui cire vos chaussures
Ramasse vos ordures
Nettoie vos souillures
Porte vos fardeaux
Sur le dos
Supporte vos travaux forcés
Sans se lasser
Sans se plaindre
Sans geindre
Mais je vous attends au tournant
Pour vous trancher la gorge
Et boire votre sang
En jubilant!

Méfiez-vous de moi
Je suis un être ingrat
Je suis votre disciple obéissant
Au regard innocent
Qui vous suit fidèlement
Comme votre ombre
Qui exécute tous vos ordres
Sans chercher à comprendre
Se prosternant avec reconnaissance
Devant votre éminence
Votre savoir et votre science
Mais je vous attends au tournant
Pour vous trancher la gorge
Et boire votre sang
En me réjouissant!
.................................................
Mostafa Houmir - Agadir, le 12/12/2009

De Anne-Marielle Wilwerth:

Nous prendrons en filature
le chiffonné des aubes
dans lesquelles on aimerait
passer les doigts

AMW

De Claude Miseur:

Regarde
regarde mieux
car la nuit guette
et ce n’est pas celle
qui descend sur l’horizon
mais plutôt celle qui se glisse
dans le plein jour et encercle
jusqu’à ton ombre

***

Il en va de nos mots errants
comme de passants intérieurs
à l’empreinte furtive
qu’efface le vent
des lentes alchimies

© Cl. M.

·De Marie Henriette Latsague:

Je suis une jarre
Remplie
Des couleurs
De ton âme

MhL, 10.11.20

De Mokhtar El Amraoui:

TON SOUFFLE, TES PAS !

Ton souffle, tes pas
Et toutes ces étoiles d’ombres
Que sème ton corps éclairé
Au silence du vent
Qui écoute la flûte des mers
Le bercer de tes fleurs
Semées dans les paumes chaudes de tes rêves !
Ton souffle, tes pas !
Un papillon enivré par son butin de lèvres
Et un soleil qui joue aux damiers des ombres !
Ton souffle, tes pas
Et une belle rosée de souvenirs
Parfumée à l’envol de nos jours à venir !

©Mokhtar El Amraoui, in «Le souffle des ressacs»

De Geneviève Catta:

Je ne sais pas

La chair laisse
Une tache
D’années de mois

Attente désemparée
Du secours d’un nom

Le quotidien s’écoule
Et renvoie aux rues désertes
(lieux destitués)

Désormais voilée,
La voix de longue absence

Tomber à genoux du corps
Au mépris de la secousse
Roses trompeuses
Épines scarifiées

Non
Je ne sais pas
Croiser
Les bras sur mon impatience

Non
Je ne sais pas
Regarder
Le trait de lèvres muettes

Non
Je ne sais pas
Ignorer
L’acéré d’une parole

Non
Je ne sais pas
Oublier
Le vide d’une main étanche

Mais le calme excessif
Connait l’habitude

Je souris au doute
Borde le lit de roches et
Suis la lenteur du plancher

Ainsi je sais
Aborder
L’intention de la vie
Dans ses bruits intérieurs

Je sais
Contenir
Le tumulte des pulsations
Dans l’étui du jour

Je sais
Répondre
Aux appels de l’heure inégale
Dans le vent

Je sais
Amarrer
Ma respiration
Au temps de la terre

Je sais
Briser
Le chagrin
À la proue du désir

Et taire
Tes exigences :
Mon souvenir s’est délié de toi
Ton visage n’y parait plus.

***

Un cri fait de l’ombre

Il est temps d’écrire
L’éclat du soleil
Au milieu du jour
Saisir la craie
Au plus fort d’une vérité
Mots de soufre
Mots de chaux
Ton couchant
Ta soif
Me font déchirer la page
Le temps est si bref
Au détour du monde
Les souvenirs remuent
Comme une peau sous le gant
Et le vent repousse
L’échappée des nuages
À l’ardeur de la terre
Sur le sol chaud
Les cigales fuient l’été cru
Tout se tait
Au bleu du ciel
Un cri fait de l’ombre
Aux embruns de chair
La tienne
Escalier aux chevilles
Poignets en sueur
Je pose ma venue
Sur ton souffle
Nos doigts tendent leurs ailes
Ravivent la clameur
Des brises nues

Geneviève Catta

De José Le Moigne:

Je ne suis pas que silence
Je ne suis pas que silence
je suis mon premier pas
mon premier souvenir
dans la savane rousse
la source rugissante
la fureur cadenassée
des anciennes marées
la rage contenue
sous les bouchons de lave
le soleil se gardant
de toute explication

© José Le Moigne, 2020 - (réécriture)

De Domi Bergougnoux:

Je suis le vent, le sable, le rocher
la vague
l'écume des jours
les ailes de l'oiseau
la voix des arbres et des racines
en sol majeur
et le fruit
pourvu qu'il soit
cru

***

Conte d'automne

loin du tumulte
La forêt tutoie
les ciels enflammés
Elle déroule
le flambeau rouge des arbres
feuilles d'or brûlé
envolées
feu sacré en forme d'élévation
et la clairière
s'ouvre à l'embrasement
tout est léger ici
au-delà des larmes
un peu de silence vert
Domi B.

De Hamid Ben:

Un thé à Timimoune (souvenir)

Veux-tu bien laisser cette toile
Que tu retouches depuis des heures
Et venir me servir un thé dont toi seul a le secret,

Un thé vert que tu prépares comme une prière,
Comme un recueillement,
Avec cette menthe fraîche
Qui embaume les ombres bleutées de l'oasis
Et les doigts de l'aube entre les feuilles du basilic en fleur

Car, comme tu le dis souvent; le thé c'est comme la vie
Il faut être patient pour en cueillir les fruits

Veux-tu bien insister pour que je reste encore un peu
Et me dire de ta voix sœur
De l'ondulation des dunes,
Que le vol Timimoune-Alger fait toujours du retard,
Et que rien ne sert de se presser,

Que là-bas aussi en ville il fait si chaud;
Si chaud à battre les pavés des trottoirs bondés
A courir jusqu'à trépas derrière le mirage d'un bonheur
Et qui ne vient pas
A se voiler la face, à mettre des masques dans un carnaval
D'ombres chinoises,
Prélude à l’abîme

Veux-tu bien défaire les tresses de cette femme que tu peins,
Dessiner ses cheveux en cascades noires
Constellées d'étoiles.

Mettre un peu plus de rouge à ses joues cirées
Et libérer enfin le couple de colombes
Prisonnières de son corset,
Veux-tu bien, l'artiste naît?

Hamid Ben

De Isis de Laonnie:

Je n'ai plus de mots pour dire
cette beauté dérisoire fatale
que tant de poètes nous imposent
avec tact, nuances et froideur
je n'ai plus de temps pour les lire
non plus le désir de les écouter
qu'ils se cooptent entre eux
se congratulent de poèmes cruciformes
ces bavards verbeux aux chairs mortes
leurs livres me font froid dans le ventre
car ils ne se conforment qu'a des formes futiles
que d'autres ont arraché pour eux
aux abîmes d'une souffrance séculaire
Qu'en est-il des pénis et des vagins copulant
dans cette orgie impuissante du non-dit
qui n'affecte que des esthètes dérisoires
pour lesquels la réalité s'orne d'évidences
nous sommes au bord du vide véritable
et seul un amour absolu nous permettrait encore
de franchir sur le fil végétal du silence
tout ce qui nous sépare de ce que nous sommes
du chant intact de l'éveil.

***

J'ai jeté ma chair en pâture
aux chacals de la pleine lune
Le vent est tombé parmi les palmes
et le sable chaud boit mon sang
Je ne suis qu'une Shéhérazade de lupanar
qu'un Sultan insulte chaque nuit
parmi les soies et les stucs de son palais
Je ne suis qu'une fée offensée
sous les crocs pointus de la nuit
L'amour a un goût d'huile d'olive et de citron
dans ce pays brûlant qui me retient captive.

Isis de Laonnie

De Gaël Hadey:

Ecrire mais quoi
comme une grenouille
ou un crapaud
comme un poète
ou bien un prêtre
changer la parole
en parabole
métamorphoser la métaphore
Ecrire le trou du cul
la pensée qui ne vient pas du coeur
ouvrir la voie de la vérité
enfin dire n'importe quoi
pourvu que la beauté
ne soit que le miroir
où se mirer soi-même
quand l'amour
a foutu le camp
et qu'il n'y a plus rien à dire (?)

Gaël Hadey

De Aurélia Ondine Menninger (Auré Lia):

Je te confie ma vie
Mon enfance pour un instant
Ma mémoire
Mes impressions
Cette force et tout ce que j'ai commencé dans un mouvement de joie et d'intense nostalgie
Je confie mon âme à ton âme
Pour tout ce que je sens sans te connaître
Je confie mon sang et les cordes de mes artères a l'orgue de tes poumons dans le silence effroyable qui nous entoure
Je t'embrasse dans cette prison de glace
J'étreins ton âme au coeur du désarroi qui nous rend muets
Sans voix je décide d'aimer
Parce que nous n'avons plus le choix
Et que je veux vivre au-delà de tout ce qui nous tue

Aurélie Ondine Menninger

De Alain Nouvel:

Je vis à contre temps
à contre voix à contre vie
à contre vent
je vis à contre sens
et à contre courant
je dis "oui" mais c'est non
je vis à contre peau
et à contre museau
je vais à contre poil
la paume de ma main
caresse à contre seins
remonte à contre fesses
et je ne sais pourquoi
je suis si lent parfois
à faire ce qui presse
tu vas à contre moi
et vis à contre émoi
ton cœur bat mon cœur bat
et pourtant
ce n'est pas
même battement
ma peau contre ta peau
ton temps contre mon temps
et dans la même chambre
et pourtant
ce n'est pas
même battement
Je vis tout contre toi
tu vis tout contre moi
et nous dormons ensemble
à contre rêve
à contre corde
à contre chant.

Alain Nouvel

De Elisa Ka:

Un jour
Je redessinerai ton visage
À l'encre des marées
Je le garderai hors-d'âge
Sous les rides du temps
Pour m'en souvenir encore
Jusqu'au dernier rivage

Elisa Ka

De Karel Logist:

Ne me caresse plus | avec autant de mains | J'aimerais que tu m'oublies | lorsque tu penses à moi | Nos heures sont comptées | par des dieux implacables | qui ne nous passent rien | et se moquent de nous | La tendresse est tempête | et secousse la beauté | Je veux être inconnu | de tous hormis de toi | et rester invisible | s'il s'agit de t'aimer | Ton corps parle une langue | que je maîtrise mal | Mon cœur risque un langage | qui te surprend parfois | Personne ne doit savoir | combien je suis fragile | quand nos joies oblitèrent | le timbre de ma voix.

***

Il y a tant de choses, de circonstances et de personnes détestables : les verrues des rêveurs ; les rentiers, les Terriens ; l'olive comme la voile ; la neige, le génie ; les pyromanes, les paronymes ; les radoteurs et les routardes ; les périls et les replis ; toutes sortes de torses ; les phrases des sherpas ; les câpres et les carpes ; les calepins, les pélicans ; les pelouses loupées ; les après-repas ; les vipères privées ; la versification, ses vérifications et tellement de disputes stupides.

Il y aurait aussi tant d'hommes à ne pas aimer. Alors, dis-moi : pourquoi m'avoir choisi ?

***

Ce n'est pas qu'il soit vieux ni vidé de sa vie. Par la petite porte et de coupables négligences, ses désirs s'en sont allés. Les livres lui tombent des mains. Leurs pages se ressemblent et n'alimentent que ses doutes. Il n'a pas envie de lumière ni de rencontrer ses amis dont la conversation l'épuise. Il ne convoque plus les visages et les mots qui faisaient ses joies ou ses peines. Même sa propre ombre l'horripile. S'il lui arrive encore d'avoir l'usage d'une femme, c'est mécaniquement, plus pour l'hygiène que par goût. La nuit, il sommeille sans rêves en serrant les poings sous les draps. Le jour, il s'allonge sur son lit et écoute la voix qui lui murmure en boucle qu'il paie pour les crimes qu'il aurait dû commettre.

***

À l'avant du tonnerre, une ligne de grain dessine un horizon où crépite l'éclair. Au large, l'orage prend la mer. La langue de la foudre ignore l'euphémisme et l'approximation des vagues ; elle cherche sa proie.

Soudain dépossédé du soleil sur sa peau, un plaisancier surpris ramasse sa serviette de plage. Sur le conseil du vent qui érafle sa quiétude en agitant le sable, il prépare son repli. Il reviendra demain, peut-être.

***

Il faut que je m'aère, que je sorte de moi, que j'oxygène mes nerfs, mes neurones et ma voix
que je retrouve mon souffle de coureur de saisons, attentif aux couleurs, rebelle à qui m'étouffe
Il faut que je rassemble mes forces vers la source et désamorce l'arme qui raccourcit mes jours
que je monte à l'assaut de nouvelles montagnes, que j'attrape au lasso le bétail de mes larmes
que je gifle l'ivrogne dont les lèvres marmonnent, une cigarette au bec, la liste des échecs
Il faut que je m'applique à ne plus respirer, aux mêmes heures que toi, ton air de m'ignorer

Karel Logist

De Sally Helliot:

Bonjour le jour, il fait déjà nuit...
Dans la course effrénée du comment
du pourquoi
j'eus soudain ce besoin impérieux
que le temps prenne son temps
Un besoin subtil et lancinant
que le geste s'attarde
que le regard s'imprime
dure
se prolonge
comme le silence d'une note
le crescendo d'une musique
l'envie soudaine que la vie prenne vie
que l’Oeil s'agrandisse
regard perçant
ébahi
merveilleux
comme une lointaine nostalgie
Il fallait...
Il fallait qu'enfin
le temps prenne son temps
Alors je donnai simplement
souffle au tant
Bonjour le jour
il fait déjà nuit
J'ai croisé le sourire du vent
le rire d'un silence
C'est si beau la nuit
tu sais...

Sally. H – Le 18 novembre de l'an 20

De Arnaud Delcorte:

Il y a peu de sol
Il y a peu de solives
Il n’y a guère d’espoir
Mais on reste sidéré
Silènes ou sélènes
Devant l’extrême onction du soleil
Sans souvenir des victoires du passé
Aux arums aux chrysanthèmes on prie
Et il ne vient de ces prières
Aucune certitude
Aucun lendemain
C’est ainsi
Il ne vient
De l’entente des lentes œuvres
Que l’automne écailleux
D’une haute nuit.

© AD – 14.11.2020

De Cécile Barbe:

Séduction,
Les mots jolis, comme des barques fines
Voguent au gré des vents
Ils emportent l’âme, la laisse éperdue, affamée de tendresse
Voyageur entre deux rives
Tu t’abreuves à la joie
Tu inscrits l’impatience dans le jour qui vient,
Empressé, enchanté, tu pars à l’aventure
Ami, la poésie ne parle qu’aux imprudents
Tu veux déguster le miel de ma table
Boiras- tu aussi le poison qui s’y trouve ?
Qui goute la vérité, doit s’attendre aux épreuves

***

l'instant présent

Les choses simples sont les plus belles
Bêcher la terre, planter des jacinthes bleues
Dehors le vieux chat se roule dans la terre fraiche
Et la petite grimpe aux arbres
Novembre nous guide lentement
Vers le solstice d’hiver
Les choses simples sont les plus douces
Allumer le feu dans la cheminée
Verser de l’eau sur le thé des moines
Mon homme a repris son livre grec
Dans son fauteuil jaune.
Novembre tourbillonne et déshabille les feuillus
Certaines choses nous sont essentielles,
Le bois qui crépite, une envie de crêpes
La tendresse silencieuse de ses yeux qui me regardent vivre.

Cécile Barbe

De Richard Taillefer:

RÉSISTER

Résister, résister, résister, jour et nuit. Résister encore. Lasse est l’amertume, cette lassitude intérieure. Il faut oser se lever, reconnaître le chemin. L’espace visible et total. Nulle tour n’est trop grande à nos yeux. On ne se taira pas une nouvelle fois, nous déploierons nos paroles lumineuses par tous les champs dévastés. Ecoute cette chanson qui court à travers le monde. Ces aboiements de chiens qui grondent derrière les niches de garde. C’est le matin que lou soulèu se lève. Ce sont toutes ces fenêtres qui s’ouvrent pour laisser le cri se répandre à l’horizon.

Désolé, contre tous les murs qui nous font face, nous continuerons à rêver, même par temps de brouillard.
Laisse une petite lumière Ici et là et puis une autre.
J’aime ta main légère
La brise chaude et douce de tes lèvres
Tes histoires qui parlent parfois de nous

Richard Taillefer - Texte extrait de "Ce petit trou d'air au fond de la poche". Prem'éditDe

De Silvaine Arabo:

Il y avait ce parfum autour de toi
cette gorge d'ambroisie
cavalier seul
échec et mat
dedans des princes où vient mourir la mer
Il y avait cette sororale voix
immense d'appels qui se dissolvaient
eau bleue du ciel suggestion des filigranes
et - muets -
ils suivaient ton cortège éteint
La villa donne sur la mort
pardon... sur la mer
La villa donne sur la mer !
Et tu savais la clé
Diane androgyne aux minotaures-labyrinthes
et ce meurtre des miroirs au centre
exorcisme jeu de feux
jets de feu aubes blanches
Bulle carcérale - surannée - du cercle
oh ! briser d'un coup de dés
l'asphyxie des lignes qui perdurent
parmi ces longs frissons de coquillages !
Ligne indéfinie des horizons
dans la splendeur nacrée
de ton être qui recommence
indécise beauté que vient couper
le vol rectiligne
de la mémoire absolue.

© Silvaine Arabo,Extrait de "Shakti" - Editions de l'Atlantique,

De José Eugène:

Vous êtes arrivée à m'émouvoir
En déplaçant le soleil au centre de votre bouche

José Eugène

De Pat Ryckewaert:

Poème de la joie

dis-moi l'élan de vie, le rire
l'ardeur des hommes
le souffle d'altérité
et la parole qui danse
dis-moi ce qui fait le coeur léger
le regard clair
les pulsations à grandir
sous ma peau de femme
et celle du vent
dis-moi les églantiers de lait
et le rouge épais des lèvres
ce qui t'inspire
et nous fait vaciller l'âme
à redresser la chair.
Poème, dis-moi
ce que tu fais de nos peines
et nos solitudes
de l'entaille dans l'enfoui.

***

Je suis un paysage
de terre et de chair
de la matière brute et fertile
à modeler le jour, à faire la vie
et les fantasmes des hommes
toutes les promesses à tenir
lambeau de soie et cuir résistant.
Parfois je suis un buisson des chemins
avec des oiseaux nichés dedans
j’inonde le monde de ma lumière
et de mon chant
je couve comme la faisane
à l’affût comme la louve
mes pensées sont épaisses
et s’ouvrent vers un espace
de tendresse infinie
et d’intenses combats
mes mots sont tressaillements
cris, et murmures à l’oreille du chagrin
je suis de l’argile et de l’eau
de l’humus et du sang
ce qu’il reste de l’autre
sur mes lèvres et mes doigts
le ciel n’est pas assez grand
pour mes ailes
je n’ai pas peur
Je suis toutes les femmes
je suis une mère.

***

Le geste est brutal
la parole tranchante
dressée comme un glaive
vidée de sens et de chaleur
les yeux n'ont plus de sel
même la terre et les bêtes se méfient
la mer se brise en silence.
Le geste est brutal
et la parole déchire comme un croc
Que veulent-ils au juste?
je vois la peur
dans leur sueur à couler
et l'écume de leur bouche
a une odeur de chagrin d'enfant
alors je les plains et je pleure.
Parfois la muse est un serpent qui danse
et le poète un joueur de flûte.

Pat Ryckewaert

De Pascal Perrot:

ce qui n'était que bruit de fond
que nous écoutons sans l'entendre
et qui à présent noue nos voix
à l'enclume des précipices

Pascal Perrot

De Jeanine Gueran:

L’oiseau
Sur la tige fragile
Fait vaciller
Le ciel.
© Paloma Gueran

De Pascal Depresle:

Un ch'tit moniau
Lorgnait d'un œil goûlu
Mon piquenchagne
Ce matin où
Geuchi et tout acabzouné
Un peu marpaud
J'y allais au marché
Chercher un gouyat neuf
En y revenant
Du marché
Mon piquenchange
Plein de traces de bec
J'ai t'y vu
Le moniau
Tremper dans mon siau
D'eau
Son mouret de voleur
Un coup à devenir
Beurdin
Si du matin
Faut faire des gouères
Pour les moniaux
Et les ajasses
Ça va pas me faire
D'abonde
D'y refaire plus gros
Pis au lieu
De brelauder
J'ai dit
Chaque fois
Qu'ane z'en
J'y mettrai
Un guenat
En astendi
De tazouner leur bec
Je deviendrai
Pas tacaraud
De faire
De belles gouères

Pascal Depresles

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