Poèmes

Pèlerinage

par Emile Verhaeren

Emile Verhaeren

Où sont les vieux paysans noirs
Par les chemins en or des soirs ?

A grands coups d'ailes affolées,
En leurs toujours folles volées,
Les moulins fous fauchent le vent.

Le cormoran des temps d'automne
Jette au ciel triste et monotone
Son cri sombre comme la nuit.

C'est l'heure brusque de la terreur,
Où passe, en son charroi d'horreur,
Le vieux
Satan des moissons fausses.

Par la campagne en grand deuil d'or,
Où vont les vieux silencieux ?

Quelqu'un a dû frapper l'été

De mauvaise fécondité :

Le blé très haut ne fut que paille.

Les bonnes eaux n'ont point coulé
Par les veines du champ brûlé ;
Quelqu'un a dû frapper les sources ;

Quelqu'un a dû sécher la vie,
Comme une gorge inassouvie
Vide d'un trait le fond d'un verre.

Par la campagne en grand deuil d'or,
Où vont les vieux et leur misère ?

L'âpre semeur des mauvais germes,
Au temps de mai baignant les fermes,
Les vieux l'ont tous senti passer.

Ils l'ont surpris morne et railleur,
Penché sur la campagne en fleur ;
Plein de foudre, comme l'orage.

Les vieux n'ont rien osé se dire.
Mais tous ont entendu son rire
Courir de taillis en taillis.

Or, ils savent par quel moyen
On peut fléchir
Satan païen.
Qui reste maître des moissons.

Par la campagne en grand deuil d'or,
Où vont les vieux et leur frisson ?

L'âpre semeur du mauvais blé

Entend venir ce défilé

D'hommes qui se taisent et marchent.

Il sait que seuls ils ont encore,
Au fond du cœur qu'elle dévore,
Toute la peur de l'inconnu ;

Qu'obstinément ils dérobent en eux
Son culte sombre et lumineux,
Comme un minuit blanc de mercure,

Et qu'ils redoutent les révoltes,

Et qu'ils supplient pour leurs récoltes

Plus devant lui que devant
Dieu.

Par la campagne en grand deuil d'or,
Où vont les vieux porter leur vœu ?

Le
Satan noir des champs brûlés

Et des fermiers ensorcelés

Qui font des croix de la main gauche,

Ce soir, à l'heure où l'horizon est rouge
Contre un arbre dont rien ne bouge,
Depuis une heure est accoudé.

Les vieux ont pu l'apercevoir,
Avec ses yeux dardés vers eux,
D'entre ses cils de chardons morts.

Ils ont senti qu'il écoutait

Les silences de leur souhait

Et leur prière uniquement pensée.

Alors, subitement,

En un grand feu de tourbe et de branches coupées

Ils ont jeté un chat vivant.

Regards éteints, pattes crispées,
La bête est morte atrocement,

Pendant qu'au long des champs muets,
Sous le gel rude et le vent froid,
Chacun, par un chemin à soi,
Sans rien savoir s'en revenait.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top