Muses, filles de
Jupiter,
Il nous faut ores aquiter
Vers ce docte et gentil
Fumee,
Qui contre le tems inhumain
Tient vos meilleurs trets en sa main,
Pour paranner sa renommee.
Je lui dois, il me doit aussi
Et si j'ay ores du souci
Pour faire mon payment plus dine
Je le voy ores devant moy
En un aussi plaisant émoy
Pour faire son
Ode
Latine.
Mais par ou commencerons nous ?
Dites le,
Muses: car sans vous
Je ne fuis l'ignorante tourbe,
Et sans vous je ne peu chanter
Chose qui puisse contenter
Le pere de la lyre courbe.
Quand celui qui jadis naquit
Dans la tour d'erein, que conquit
Jupiter d'une caute ruse,
Ut trenché le chef qui muoit
En rocher celui qu'il voyoit,
Le chef hideus de la
Meduse :
Adonques, par l'air s'en allant,
Monté sur un cheval volant,
Il portoit cette horrible teste
Et ja desja voisin des
Cieus
Il faisoit voir en mile lieus
La grandeur de cette conqueste.
Tandis du chef ainsi trenché
Estant freschement arraché,
Distiloit du sang goute à goute :
Qui soudein qu'en terre il estoit,
Des fleurs vermeilles enfantoit,
Qui changement la campagne toute,
Non en serpent, non en ruisseau,
Non en loup, et non en oiseau,
En pucelle,
Satire ou
Cyne :
Mais bien en pierre : faisant voir
Par un admirable pouvoir
La vertu de leur origine.
Et c'est aussi pourquoy je crois,
Que fendant l'air en mile endrois
Sur mile estrangeres campagnes,
A la fin en
France il vola,
Ou du chef hideus s'escoula
Quelque sang entre ces montagnes.
Mesmement aupres de ce pont
Opposé viz à viz du mont,
Du mont orguilleus de
Forviere
En cet endroit ou je te vois
Egaler meinte et meintefois
Entre l'une et l'autre riviere
Car deslors que fatalement
J'en aprochay premierement,
Je vis des la premiere aproche
Je ne say quelle belle fleur :
Qui soudein mesclavant le coeur
Le fit changer en une roche.
Je viz encor tout à lentour
Mile petis freres d'Amour,
Qui menoient mile douces guerres,
Et mile creintifs amoureus
Qui tous comme moy langoureus
Avoient leurs coeurs changez en pierres.
Depuis estant ainsi rocher,
Je viz pres de moy aprocher
Une
Meduse plus acorte
Que celle dont s'arme
Pallas,
Qui changea jadis cet
Atlas
Qui le
Ciel sur l'eschine porte
Car elle, ayant moins de beautez,
De ces cheveux enserpentez
Faisoit ces changements estranges :
Mais cetteci, d'un seul regard
De son oeil doucement hagard
Fait mile plus heureus eschanges.
Celui qui voit son front si beau
Voit un
Ciel, ainçois un tableau
De cristal, de glace, ou de verre
Et qui voit son sourcil benin,
Voit le petit arc hebenin
Dont
Amour ses traits nous desserre.
Celui qui voit son teint vermeil,
Voit les roses qu'à son réveil
Phebus épanit et colore :
Et qui voit ses cheveus encor,
Voit dens
Pactole le tresor
Dequoy ses sablons il redore.
Celui qui voit ses yeus jumeaus,
Voit au
Ciel deus heureus flambeaus,
Qui rendent la nuit plus cerene
Et celui qui peut quelquefois
Escouter sa divine voix
Entend celle d'une
Sirene.
Celui qui fleure en la baisant
Son vent si dous et si plaisant,
Fleure l'odeur de la
Sabee :
Et qui voit ses dens en riant
Voit des terres de l'Orient
Meinte perlette desrobee.
Celui qui contemple son sein
Large, poli, profond et plein,
De l'Amour contemple la gloire,
Et voit son teton rondelet,
Voit deus petis gazons de lait,
Ou bien deus boulettes d'ivoire.
Celui qui voit sa belle main,
Se peut asseurer tout soudein
D'avoir vu celle de l'Aurore
Et qui voit ses piez si petis,
S'asseure que ceux de
Thetis
Heureus il ha pù voir encore.
Quant à ce que l'acoutrement
Cache, ce semble, expressement
Pour mirer sur ce beau chef d'euvre,
Nul que l'Ami ne le voit point :
Mais le grasselet embonpoint
Du visage le nous descoeuvre.
Et voilà comment je fuz pris
Aus rets de l'enfant de
Cypris
Esprouvant sa douce pointure :
Et comme une
Meduse fit,
Par un dommageable proufit,
Changer mon coeur en pierre dure.
Mais c'est au vray la rarité
De sa grace et de sa beauté,
Qui ravit ainsi les personnes :
Et qui leur ôte cautement
La franchise et le sentiment,
Ainsi que faisoient les
Gorgonnes.
Le
Tems cette grand'fauls tenant
Se vét de couleur azuree,
Pour nous montrer qu'en moissonnant
Les choses de plus de duree
Il se gouverne par les
Cieus :
Et porte ainsi la barbe grise
Pour faire voir qu'Hommes et
Dieus
Ont de lui leur naissance prise.
Il assemble meinte couleur
Sur son azur, pource qu'il treine
Le plaisir apres la douleur
Et le repos apres la peine :
Montrant qu'il nous faut endurer
Le mal, pensant qu'il doit fin prendre,
Comme l'Amant doit esperer
Et merci de sa
Dame atendre.
Il porte sur son vétement,
Un milier d'esles empennees
Pour montrer comme vitement
Il s'en vole avec nos annees :
Et s'acompagne en tous ses faits
De cette gente
Damoiselle,
Confessant que tous ses effets
N'ont grace ne vertu sans elle.
Elle s'apelle
Ocasion,
Qui chauve par derriere porte,
Sous une docte allusion,
Ses longs cheveus en cette sorte
A fin d'enseigner à tous ceus
Qui la rencontrent d'aventure
De ne se montrer paresseus
A la prendre à la chevelure.
Car, s'elle se tourne et s'en fuit,
En vain apres on se travaille
Sans espoir de fruit on la suit.
Le
Tems ce dous loisir nous baille,
De pouvoir gayement ici
Dire et ouir maintes sornettes,
Et adoucir notre souci,
En contant de nos amourettes.
Le
Tems encore quelquefois,
Admirant ta grace eternelle,
Chantera d'une belle voix
D'Avanson ta gloire eternelle :
Mais or' l'ocasion n'entend
Que plus long tems je l'entretienne,
Creignant perdre l'heur qui m'atend
Ou qu'autre masque ne survienne.
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012