Poèmes

Nos Mains

par Jean-Christophe Réhel

Jean-Christophe Réhel

Il y a mes cheveux qui ne regardent nulle part
Il y a cette journée qui commence et qui s’achève déjà
Il y a quelques années

Un peu avant d’écrire Les volcans sentent la coconut
J’ai été hospitalisé à l’Hôtel-Dieu
Mon hémoglobine était trop basse

J’attendais le verdict des médecins
Pour savoir si j’avais le cancer
Je pleurais en boule dans mon lit

Une infirmière s’est approchée très près de moi
Elle s’est penchée pour être à ma hauteur
Elle m’a tenu la main
Elle m’a chuchoté quelque chose
Je n’ai pas eu le courage de la regarder dans les yeux
Est-ce que ça t’est déjà arrivé ?
Serrer la main de quelqu’un
Que tu n’as jamais vu et que tu ne reverras plus ?
Ça m’est arrivé deux fois
Je te raconterai peut-être la deuxième fois

Un jour
Dans une autre vie

Quand on sera des chats
Ou des papillons de nuit avec du poil sur les pattes

C’était durant le long congé de Pâques
J’ai pris de la cortisone tous les jours
Le médecin est entré dans ma chambre

Il m’a annoncé que je n’avais pas le cancer
Il disait que j’avais une idiopathie
Je lui ai demandé :
Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
J’ai un pouvoir
Celui de débouler les escaliers

Pour mourir
Et de revenir et revenir encore

Tout à l’heure
J’ai croisé un itinérant
Il m’a dit :
Peux-tu trouver la technologie qui a servi à créer notre planète ?
J’ai répondu non
Il m’a dit :
Ben c’est ça
On n’est pas si intelligents que ça
J’ai dit :
Non on n’est pas si intelligents que ça
Au loin

Il m’a crié :
Merci de m’avoir parlé
Pu personne me parle depuis la COVID

Je lui ai fait un thumbs up
Je l’aurais serré dans mes bras
J’ai tellement de projets à finir
J’ai tellement de défis à relever
Ça n’a rien de triste
C’est beau
C’est la vie
C’est comme être assis avec quelqu’un qu’on aime bien
On parle du temps qui passe

On rit
On demande à notre ami s’il veut encore quelque chose à boire
Il nous dit qu’il n’a plus soif
C’est normal
Regarde le temps

Il passe vite c’est vrai
Mais n’oublie pas que le temps est de ton côté
La seconde fois que j’ai serré la main
À quelqu’un que je n’ai jamais vu
C’est dans ce poème avec toi
Je ne te connais pas

Je ne sais pas ce que tu fais dans la vie
Mais je veux essayer quelque chose avec toi :
Tends le bras

Pis ouvre la main
Vois-tu ma main ?
Serre-la fort

Sens-tu ma main ?
Si tu la sens

Tu as peut-être un peu percé le mystère de la poésie
Et c’est une bonne chose
Ou pas

Je ne sais pas encore
Il y a encore trop de choses que je ne sais pas

Et que je ne saurai jamais
Et c’est correct
C’est vraiment correct
Ç’a l’air fou
Je sais

Je sais qu’on va se revoir
Mais penses-tu pouvoir me faire une promesse ?
Si un jour

On te demande :
As-tu déjà serré la main de quelqu’un
Que tu n’as jamais vu et que tu ne reverras plus ?
Tu pourras répondre :
Oui

Tu pourras répondre :
Une seule fois

Dans un journal
Avec un gars bien normal.



Poème publié et mis à jour le: 18 October 2022

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