En des temps reculés le peuple des Helvètes
Éreinté d'un pays vraiment trop montagneux
Où les champs inféconds offraient peu de recettes,
Décida de quitter la terre des aïeux
Pour aller se choisir un autre territoire
Et s'établir...en Gaule; objectif méritoire
Car le projet menait, avec conviction,
Au bord de l'océan que l'horizon prolonge,
(Où vivaient les santons occupant la Saintonge)
Hommes, femmes, enfants, dans la migration.
Partout dans les vallons, les coteaux, la campagne
L'effervescence gagne; un chant semble venir
Des sommets enneigés, plane sur la montagne
Soufflé par quelque dieu qu'on aurait pu bénir,
Tandis que les forêts bourdonnent aussi puisque
L'on y perçoit l'écho des coups de la francisque.
Un conseil d'oppidum surveille le travail,
Étudie et prévoit le bon itinéraire,
Nomme des éclaireurs, des chefs en cas de guerre,
Cherche à coordonner jusqu'au moindre détail.
Près de quatre cent mille Helvètes se destinent
À cet ambitieux périple sans retour;
Pendant plus de deux ans jeunes et vieux s'échinent
En lourds préparatifs jusqu'au dernier labour.
On construit par milliers des chariots énormes
Qui peuvent transporter dessus leurs plates-formes
Des familles, des stocks de ravitaillement,
Des outils de travail, jouet de l'un, bagage
De l'autre, et le surplus qui n'est pas du voyage,
Les meubles et les blés, sont brûlés instamment.
Des milliers de guerriers pour l'unique aventure
Escortaient le convoi; le chef Orgétorix
En tête conduisait dans sa noble posture
Au chemin du pays de Vercingétorix.
En l'an cinquante huit avant l'ère chrétienne
L'équinoxe arrivant, et pour peu qu'il contienne
L'annonce du printemps, ils partirent joyeux;
Pour rendre irréversible un retour d'équipages
Ils brûlèrent aussi leur quatre cents villages
Ne voulant rien laisser d'utile derrière eux.
Cependant ils devaient traverser le grand Rhône
Au sortir du Léman pour atteindre le but
Dépendant en ce temps de César en personne,
Qui refusa ce droit (que jamais il ne dut)
Craignant que l'Helvétie alors libre devienne
La proie et le pays d'une horde germaine.
Le peuple arrêté net, ne voulant insister,
Dévia son trajet vers le Pas-de-l'Écluse
Pour franchir le Jura, croyant par cette ruse
Déjouer les Romains qu'ils voulaient éviter.
Ce détour, malgré tout, de deux mois les retarde
Et César en profite, avec ses alliés
Éduens et Gaulois, pour renforcer sa garde
Dont ils lui fourniront trois mille cavaliers.
Elle court au devant de l'Helvète en exode,
En hurlant les péans de cette période,
Pour lui couper la route aux premiers jours d'été;
L'armée au mont Beuvray surveille d'un pied ferme
Le convoi d'émigrés, souhaitant mettre un terme
À cette invasion: le sort en est jeté.
Depuis leur promontoire, armés pour la bataille,
Un long ruban de l'Est jusques à l'horizon
S'étalait sous leurs yeux entre bois et broussaille
Sa poussière couvrant toute la frondaison.
Des quantités de boeufs tractaient les charges lourdes
Des chariots montés d'un plancher sur lambourdes.
Des hommes à cheval trottaient à côté d'eux,
D'autres suivaient à pied parmi la caravane:
Ils semblaient tous en paix, et leur bannière en panne
Ne proclamait aucun sentiment belliqueux.
Le signal est donné: le son d'un cor qui claque
Et brise le silence excite les guerriers
Qui dévalent le mont et passent à l'attaque
Avec aux premiers rangs les meilleurs cavaliers.
La surprise est totale, en bas, car dans la plaine
Le Général conduit sa légion romaine.
Un cri d'effroi jaillit comme une seule voix,
Fige les sangs d'enfants, glace les coeurs des femmes,
Quand les brands et les dards abattent tous leurs lames.
L'Helvète se défend puisqu'il n'a pas le choix.
Le journal que César tenait à cette époque
Est avare en détails et ne précise pas
L'ignoble barbarie hélas sans équivoque
Sur l'horreur du massacre au milieu des combats:
Le nombre de vingt mille en prouve l'hécatombe
Parmi les émigrants, et le convoi succombe
Aux assauts sans répit des Romains et Gaulois.
C'en est fini du rêve pour tout ce monde Helvète
De vivre en front de mer! De débâcle en retraite
Il retourne au pays reconstruire ses toits.
Seul barde parmi cent je revins de l'exode,
Et pour en témoigner leur composai ce chant,
Une ode, en souvenir de ce triste épisode,
Adoucissant les mots que souffle un coeur méchant,
Pour le calmer d'abord, tant il enfle, il abcède
De pensers agressifs. Dans mon art je concède
Aux cordes de ma lyre un imaginatif
Rôle en me voyant tel un archer qui décoche
Une flèche par vers. Je transmis au plus proche
Des parents descendants mon pouvoir créatif.