Dans les soies empuanties d'une aube de mai
Où les quais de la ville transpirent leur peau et leur sueur en milliers de petites rigoles de fumée
J'entends au loin les pendules de Notre-Dame qui se lamentent
Et le chant des rouages et des mécanismes complexe comme une escarboucle
Et triste comme les yeux d'un petit chevreau qui vient de naître
Elles sonnent et gambadent sur les pavés cerclés d'or de la capitale
Elles sonnent et passent en riant au travers des boulevards endormis
Des mille et une poutrelles d'acier aux écrous cristallisés par les fluides matinaux
Au loin les cloches résonnent entre les draps désertés des amants
Les portes des penderies aux allures de comédie ou de pantomime un peu désuète
Les dômes filigranés par le métal et le glas des vitraux
Jettent une œillade légèrement désapprobatrice à ces déambulations et leur cortège de débauche
Dans le brouhaha ambiant ils craignent les excès matutinaux des artificiers
Qui frappent le bitume avec leur arsenal de peintures explosives
Leurs doigts sont des pinceaux trempés dans les fioles aux verts poisons
Le bleu des ecchymoses sur les cœurs meurtris
Ou le lilas des encres trop longtemps conservées
Ils jettent sur l'écheveau de laine des nuages cent couleurs multiples et fantasmagoriques
Parfois un lavis d'étincelles vient courir sur la toile huileuse d'un aéronef
Ou chatouiller la susceptibilité offensée des planeurs
La voûte prend alors des airs de peinture impressionniste
Les feux de Bengale amorcent ensuite un atterrissage forcé
Sur le fronton aux figures antiques du vaste opéra
Les grands magasins ouvrent leurs panneaux de laque japonaise
Noirs et luisant comme les coromandels de la rue Chambon
Et scandent leurs strophes sous l'inspiration des acteurs anciens du Pont-neuf
Les feuillets de leurs textes s'éparpillent à fleur de caniveau
Rongés par le chorus ininterrompu de l'offre et de la demande
Les déshérités attendent sur les rebords de la scène la mélopée creuse des hélices
Et le vent dans les ailes d'un moulin qu'ils ont depuis longtemps renoncé à combattre
Quant à moi
J'erre devant les guenilles ouvertes des boutiquiers offrant aux passants leurs breloques
Ou les restes d'un terroir de pacotille
Sur les étales des bouquinistes je pioche les pommes acidulées de la poésie aragonaise
Les rimes un peu lourdes des psaumes ou la solennité pierreuses des bréviaires
Je reste immobile silencieuse contemplative
Et sur une page aux mailles jaunis par le temps
Une page à l'odeur poussiéreuse de térébenthine et d'encens d'église
Une page où glissent de temps à autre les restes séchés d'un herbier
J'ai suivi en rêvant la trace aérienne d'un mot