Poèmes

Les Intemporaines

par Werner Lambersy

Le temps est sans fin

L’espace est sans fin

Et sans fin

Ni repos les matières

Car est matière

Ce qui résiste au désir

L’homme

L’ouvrage et son désir

Sont sans fin

Et la bombe

D’Hiroshima tombera

Sans fin

Rudérales

Sont les fleurs

De nos jardins saccagés

Sur les décombres

Et le remblai en friches

De nos consciences

Lumière

Les cendres du soleil

Cosmos

Ce qui couve encore

De son feu

Dans l’incendie

Aux lisières aveugles

Et la pluie noire

Des moussons du vide

Mais l’ombre

Marquée sur un pan

Carbonisé d’Hiroshima

Est le fantôme écorché

De qui passait

Sous les bruissements

De cerisiers

Dont on disait en ville

C’est le frisson

Le plus secret du beau

Qui seul peut

Nourrir l’âme humaine

Mémoire

Le terrain vague

Où la végétation sauvage

Des images d’Hiroshima

Repousse toujours

Parmi les gravats

De l’horreur instantanée

Et les crépis boursouflés

De la peau

Et les pustules de la peur

A venir

Brûlis

Où l’ortie amère persiste

Plus têtue

Que l’oasis dans le désert

Du cœur

Ou le nerf

Des coqs décapités

Que la fureur fait courir

Les mots

Comme des gants

Oubliés rêvant de caresses

Que la main

Ne peut connaître que nue

Après ce souffle

Et l’érection priapique

De sa puissance

Que faire

Du souffle faible

Qui habite la carcasse

Et sa trace

Dans le verbe proféré

De la férocité

Sinon

Répéter la présence

Qui dénonce

Et le verbe

Qui embrase autrement

L’innocence

De ce qui apparaît

Quand la beauté enfante

Nos regards

Et l’orgasme naïf

De l’aurore après l’aube

Ou l’horizon

Qui recule pour

Laisser place à l’immense

Mon âme

Faudra-t-il boire

Dangereusement penchée

Comme la girafe

Qui fait le grand écart au

Bord des berges

Où nage

Entre deux eaux boueuses

Le crocodile

Aux bonds soudains

Et prodigieux pour prendre

Au cou et entraîner

La proie aux yeux trop doux

Ou comme le ginkgo

Dont les racines s’abreuvent

A la nappe profonde

Lorsque tombe

La foudre aveugle d’en-haut

La vie par les oiseaux

La mort par l’homme-oiseau

Dont les œufs

De coucou ont dépeuplé

Le nid de la couvée des autres

Mon âme

A l’âge de la matière ardente

Elle est née du chaos et chante

Un chant qui monte

A pleine gorge depuis le néant

La seconde de silence

Après qu’Hiroshima

A cessé de disparaître

La seconde de silence

Après qu’on a ouvert

Le camp d’Auschwitz

Et découvert

Jusqu’où peut retomber

La nature trahie du nom

D’homme

La seconde de silence

La même

Que rien d’imaginable ne

Peut meubler

La reconnaîtrons-nous et

La ferons-nous nôtre

Le poème

Sera-t-il la suivante

Qui du fond de notre âme

Fera paraître

Après ce total déblaiement

Des illusions

L’espace pris

Par la première note

Du premier chant lancé ici

Aussi intact que la seconde

Avant l’horreur

Jusqu’où

Faudra-t-il curer

L’étang des certitudes

La plaie ouverte

Des crépuscules au ras

De l’horizon

Et qu’aurons-nous

Encore à respirer d’air

Qui ne soit pourri

Par le passage

Dans le cloaque obscur

De la mort

Et les sanies

Dans la bouche du verbe

Alors qui

Osera dire je t’aime

A la louange de ce qui est

Si ce n’est le poème

Qu’aucune apocalypse ne

Désarme

Lui le souffle le plus haut

Et le plus faible

Des mots qui l’emportent

Vers les ténèbres libres

Et dévorantes de la beauté

Combien de temps

Faudra-t-il avant

Qu’un premier chien

Perdu ne s’aventure

Et dans le camp vide

Des crématoires

Et dans le champ

D’Hiroshima

La ville comme un œil

Sans rien dedans

Combien de temps

Avant que nos lèvres

Ne produisent tout bas

Le bruit des mots

Perdus par le chagrin

Combien de temps

Avant que dans la tête

Ne retombent l’écho

La fumée la poussière

Et tout ce qui recouvre

Les eaux troubles d’hier

Où se tiennent debout

Les échassiers de l’âme

Une patte sous les plumes

Et l’autre dans la boue

Comme ces fours

Et ces tours dont s’obstine

Le rappel

Malgré les ans tranquilles

Et les nuages qui oublient

Là où ils ont souffert

La chute brutale

Du soleil

Le flash

Photographique

Monstrueux du ciel

Là où ils connurent

L’épouvante

De voir s’effondrer

Le château de cartes

De la lumière

Là nous avons désuni

La matière

Et rendu éparse

La poussière universelle

De l’harmonie

Et nous voilà contraints

De promener

Les animaux grimaçants

De la laideur

De les nourrir du lard

Grouillant

De la vulgarité de l’âme

Et d’attendre

L’amoureuse impatience

Que promet

Le vertige d’être l’œuvre

Nous sommes décombres

Sur les décombres

De nous-mêmes

L’art qui n’est qu’amour

A reconstruire

Peut seul

Nous rendre les beautés

Des débuts

Car rien n’encombre

Sa prophétie

De n’être à lui-même

Que liberté de naître

Tout oiseau qui se pose

Sur l’herbe où repose

Le souffle d’Hiroshima

Marche sur de couches

De morts

Tout papillon qui bat

Des ailes pour s’enivrer

De pollen

Remue des cendres

Qui prennent la lumière

A la gorge

Et quand un crépuscule

Teint ses mains au henné

Pour épouser l’ombre

Que reste-t-il d’autre

Que nos pauvres paroles

Dans la chorale des choses



Poème publié et mis à jour le: 16 November 2012

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