Poèmes

Les Heros

par Anna de Noailles

Anna de Noailles

La tristesse du soir autour de moi s'amasse,

Le monde est un étroit enclos,
Mais je quitte le sol, je monte dans l'espace,

Et je parle avec les héros !

Tous les fronts, tous les chants, tous les cris magnanimes

Font dans l'air un vivant décor,
Des sites plus brûlants, des rives plus sublimes

Que les nuits de la
Corne d'Or !...

Que d'autres cherchent l'air des bois, de la montagne

Et la brise des
Océans,
Je m'enfonce dans l'ombre où nul ne m'accompagne,

Je respire chez les géants !

Je vois luire leurs yeux, leur frémissant visage,

La place ardente de leur cœur,
L'un a le luth, l'autre a la tempête et l'orage,

L'autre le sang et la sueur.

Ah ! laissez-moi partir, laissez que je rejoigne

Ce cortège chantant, divin,
Que je sois la timide et rêveuse compagne

Qui porte le sel et le vin.

Laissez que j'aille auprès de ceux dont l'existence
Répandait des rayons pourprés,

Et qui sont dans la mort entrés avec aisance
Et comme des danseurs sacrés !

Combien de fois n'ayant plus la force de vivre

Ai-je soudain souri, bondi,
Pour avoir entendu les trompettes de cuivre

Des adolescents de
Lodi !

Combien de fois pendant ma dure promenade,
Mon cœur, quand vous vous fatiguiez,

Ai-je évoqué pour vous, dans la claire
Troade,
Achille sous un haut figuier !


J'ai pour héros tous ceux que le génie égare,

Amants du rêve et du désir ;
Et l'enfant de treize ans mourant dans la bagarre

Et riant de ce grand plaisir !

Tous ceux qui recherchant d'ineffables conquêtes
Hélaient des royaumes sans bords,

Et qui joyeux, montant dans votre char,
Tempête,
Mettaient des ailes à leurs corps !

Tous les plus enivrés, tous les plus fous d'eux-mêmes

Avec mes yeux se sont croisés.
Je crois les voir, au fond des jours d'été suprêmes,

Où l'azur semble pavoisé !

D'un mouvement puissant, naturel, frénétique,

Je marche les regards levés,
Pour suivre dans les flots de la nue héroïque

La trace de leur pieds ailés.

Ah ! quel tumulte ardent, quelle immense nouvelle,

Quel suave frémissement,
Quand soudain l'un de vous à mon cœur se révèle

Et me parle plus fortement !

Dans la vie où je vais l'âme toujours pâmée,

Le cœur enivré, sombre et doux,
Je n'ai d'autre besogne, intrépide, enflammée,

Que d'être amoureuse de vous !

Vous êtes mes vaisseaux, mes rives, mes grands arbres,

Mon soleil, mon ardent matin,
Qu'ai-je besoin d'amis, j'ai les hommes de marbre

Qui se penchent sur mon destin.

Hélas, je ne crois pas à notre âme immortelle,

Mais j'ai pour profond paradis
Les feux que votre vie a laissés derrière elle,

Et les mots que vous avez dits !

Chétive, mais brisant ma paix et ma demeure,
Cherchant ce qu'on ne peut saisir,

Je fus pareille à vous qui précipitiez l'heure
Et qui n'aimiez que l'avenir !

J'ai vécu débordant de songes, la musique,
Par qui la terre touche aux deux,

Parfois semblait courir dans mon sang nostalgique
Et semblait jaillir de mes yeux.

Tout l'azur, chaque jour tombé dans ma poitrine,

S'élançait en gestes sans fin,
Comme on voit s'élever deux gerbes d'eau marine

Du souffle enivré des dauphins !

Je viens, portant sur moi la douce odeur des mondes

Et tenant les fleurs de l'été,
Accueillez-moi ce soir dans l'ombre où se confondent

L'héroïsme et la volupté !



Poème publié et mis à jour le: 13 November 2012

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top