Poèmes

Le Second Jour

par Guillaume Salluste du Bartas

Quiconque a remarqué comme une seule masse
De cire peut changer cent et cent fois de face,
Sans croître ni décroître, il comprend aisément
De ce bas univers l'assidu changement.
La matière du monde est cette cire informe,
Qui prend sans se changer toute sorte de forme.
La forme est le cachet, et le grand
Dieu vivant
Le juste chancelier, qui, nuit et jour, gravant
Ses grands et petits sceaux dans ce corps si muable,
Rend une même masse or' vile, or' * honorable.
Rien n'est ici constant : la naissance et la mort
Président par quartier en un même ressort.
Un corps naître ne peut qu'un autre corps ne meure,
Mais la seule matière immortelle demeure,
Tableau du
Tout-Puissant, vrai corps de l'univers,
Réceptacle commun des accidents divers,
Toute pareille à soi, tout en soi contenue,
Sans que le vol du temps l'accroisse ou diminue,
Immuable d'essence et muable de front,
Plus que n'est un
Protée, et plus qu'encor ne sont
Les poulpes cauteleux, qui sur l'ondeux rivage
Changent pour butiner chaque heure de visage.
Telle que le
Français qui, guenon affété
Des étrangères mœurs, se paît de nouveauté
Et se mue, inconstant, si souvent de chemise
Que de ses vains habits la façon il déguise.

Telle qu'une
Laïs % dont le volage amour
Voudrait changer d'ami cent mille fois le jour,
Et qui n'étant à peine encore délacée
Des bras d'un jouvenceau, embrasse en sa pensée
L'embrassement d'un autre, et son nouveau plaisir
D'un plaisir plus nouveau lui cause le désir.
Car la matière ayant d'un amour variable Époinçonné le cœur, mais n'étant point capable
De prendre tous portraits en une même part
Et dans un même temps, elle reçoit à part
Figure après figure, en sorte qu'une face
S'efface par le trait qu'une autre face efface.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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