Poèmes

Le Patient Ouvrier

par Francis Ponge

Francis Ponge

Des camions grossiers ébranlent la vitre sale du petit jour.

Mal assis, Fabre, à l'estaminet, bouge sous la table des souliers crottés la veille. L'acier de son couteau, attaqué par la pomme de terre bouillie, il le frotte avec un morceau
de pain, qu'il mange ensuite. Il boit un vin dont la saveur affreuse hérisse les papilles de la bouche, puis le paye au patron qui a trinqué.

A sept heures ce quartier a l'air d'une cour de service. Il pleut.

Fabre pense à son wagonnet qui a passé la nuit dehors, renversé près d'un tas de sable, et qu'il relèvera brutalement, grinçant, décoloré, dans le
brouillard, pour d'autres charges.

Lui est encore là, à l'abri, avec, dans une poche de sa vareuse, un carnet, un gros crayon, et le papier de la caisse des retraites.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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