Dans les villages horizontaux
enfoncés dans le sol jusqu'aux genoux
les maisons âgées s'assoient lentement
Le paysan qui fait lever le jour
et qui porte le soleil à bout de fourche
peigne les champs de ses charrues dociles
et sa douce folie émeut à peine le voyageur des villes
L'eau de l'orage
sur la tête nue des prés
les flaques où vient boire le nuage
et que les feuilles traversent en bateau
les pigeons qui émiettent le soleil
la distance du ciel à la terre prise
dans la charnière des yeux étonnés
Moi ce passant chercheur d'une rue
où les poules de la terre ont pondu des cailloux
où les arbres sifflent les feuilles parties
vers d'autres arbres d'autres ruches
J'ai bu toutes les bouteilles de la joie
un soir que le vent avait ouvert la terre
de son étrave en forme de vallée
et dans la chambre à côté des prières bleues
montaient au ciel par la cheminée
des fleurs séchaient au large des tapisseries
La tête vitrée du ciel
écoute mieux le cœur gagner à petits pas
sa prairie compliquée
L'ennui se mire aux ongles lisses
La crainte d'être oubliées du sommeil
rapproche les rives de ma présence
Mourir de cette vue discrète et rare
sur les lentes péniches du cauchemar
où veille un oiseau de verre
où les arbres lèvent leur main froide
vers des hauteurs superposées
où la nuit risque des pieds blancs sur la ville
tourne autour du cou de la lune
où les rivières font une cravate à la terre
Les forêts d'angoisse gonflent leurs feuilles
sans raison
L'amour n'est pas rentré ce soir
à cause de l'écho tremblant des couloirs
J'évite de peu le convoi de l'éternité
qui sort de la plus sourde toiture
emportant sa fumée d'étoiles
et ses promesses d'une autre vie
Une feuille descend
escalier par escalier
au pli de la feuille un éclair nu
comme le plafond sur un mourant
personne ne répond à l'appel
que tire la terre de sa porcelaine de villes
il n'y a pas de veilleur sur la plus haute montagne
et le ruisseau se presse contre ses rives
par peur de l'araignée de saule
et de la grimace des nuages
Les étoiles sont attentives
combien ont-elles pointé de leur crayon rapide
de passants dépités de leur tête longue et vide
Étale ton corps souffreteux
sur l'hôpital des murs
lampe vieille fille de lampe
tu ne parles pas de ta vie éternelle
les papillons frappent en vain contre ta vitre
ta lueur serait peut-être l'étage de silence
que m'ont promis les passeurs de songe
tu rentres dans tes fils
au moindre geste de jour
La tête nette comme un os
l'œil gauche comme un œuf à la coque
la main cime quand elle veut
plus nécessaire que le bond des yeux
cernés par l'horizon
Cette chambre sauvée des cris de la rue
et où l'on entend frémir l'arbre de la tapisserie
avec la nuit qui attend dehors tous phares éteints
la naissance du silence
Un chant qui n'est ni triste ni gai
saute de branche en branche
éveille dans la mémoire des dormeurs de bonheur
Le cœur se plaint de sa prison
d'où il n'a jamais vu les plantes de la terre
imiter l'attitude des hommes
De la cheminée du ciel
retombe le charbon brûlant des étoiles
Ce demain fermé qu'habite la mort
n'est plus la trappe d'hier
La joie s'ouvre comme une huître
et la pomme du rire roule jusqu'à la mer
avec des arrêts dans les grandes villes
Les langues bleues boiront la nuit
en léchant la joue du soleil
Les champs perdent pied sous la neige
au-dessus des ruisseaux ébréchés par la glace
les arbres jettent en vain leur bras d'alarme
L'eau essuie ses carreaux noirs
près des fontaines près des maisons ridées
et mène ses branches voir la mer
d'un pas léger qui marque des vallons
Les cheminées ont le cou nu
dans la laine trop large de l'air
Les villages sous leurs plumes
sont de grands oiseaux reposés
avec comme mouvement juste de quoi faire battre
la poitrine plate des fenêtres
Le bec plus sombre du plus haut mur
guette en vain le guêpier du soleil
La côte s'élève comme un lait qui bout
les pas dans la rue montent jusqu'au ciel
les têtes passent à peine de l'entonnoir du col
et vont vite vers le tunnel des portes
penser aux flocons de chaleur et d'amour
Je la dévêts de l'espace qui l'isole
quelques fruits d'air retenus dans les poches
que ferme mal son corps distant
sous la foulée de ma caresse
Sa tête remonte de ma main
comme une tige inclinée
Nos yeux contenus dans le même regard
nos jambes dans le même arbre
notre souffle échangé contre des baisers
une nuit commune tombe dans nos bouches
Toute la peau recule aisément
jusqu'au bord intérieur d'un seul désir
mes doigts fleuves de terre
s'apaisent longuement à leur source chaude
et leur parenthèse est plus inclusive
que celle de la mort et des murs
au niveau de son corps mon corps monte
et le jour fait un écart pour passer
Le soleil dégaine ses plus beaux épis
que des flaques portent aux granges de la nuit
Un vent libéré retrouve
les grandes voies ferrées de l'éternité
Le désir à tue-tête se mesure
aux pierres tranchantes des sens
à la glace qui lie les doigts
Un nuage passe en fraude
qui convoie le duvet chaud
de songes sûrs de leur foi
Dans le peuplier coulent de brusques barques
des lanternes brûlent le papier noir du dehors
le trouent de leurs grosses têtes rousses
Plus blanche est la morte sous les paupières
cousues de sommeil
Plus nette est la cambrure de la terre
à la clarté qui déborde dans la nuit
Ma tête est captive des cartes de la mémoire
La jetée d'un éclat augmente un front furtif
La cloche de colline pèse sur la terre
s'élargit jusqu'aux routes
Les oiseaux perdent haleine
à suivre la trace du jour
Les étoiles s'éclairent de leur lampe de poche
et se serrent à l'approche de l'éternité
LES villages somnolent sous leur couvercle de pierre
rêvant tout haut dans la voix des batteuses
Le matin boit son bol de rosée
à table avec les arbres autour des prés
Le pont sur le monde se détruit
comme un peu d'alcool trop pâle
Les charrues jouent mal du violon
sur les champs savonnés de brume
Les nuages de leurs poings se battent
contre les colonnes muettes de l'ombre
Automne ô belle fille bombée de larmes
ô belle blonde qui verses tes seins nus
dans la paume profonde du ciel
ta bouche entr'ouverte brille
des quelques dents claires du couchant
tes bois sont des créneaux
pour tirer sur l'hiver
ta lumière est disjointe par le vertige
et tes flaques ont de grands regards béats
L'œil blanc des lampes
fouille la nuit à la limite de ses bas
rencontre l'ongle fragile d'un regard
Entre les cuisses de la terre
il y a un village qui tend ses bras de fumée
et qui éteint son tablier à carreaux clairs
Dans le ruisseau les cailloux font des cœurs
que touche du doigt une étoile
Les herbes marchent par bandes
à la suite des voitures de vent
font des grands signes au-dessus de l'eau
Le ciel n'est pas caché de ses montagnes
et chacune de ses villes s'allume
comme celles plus folles de la terre
à cause des femmes qui polissent leur cœur
et des rapides blessés d'incendie
Les manches trop longues des rues
où les fenêtres vous suivent
avec le haussement d'épaule de leurs battants
C'est le même jour qui se lève de grand
des labours étouffés de lessive
La colline de vent s'approche
essaie le ressort des arbres
soulève les écailles de l'étang
La joie de vivre se fait femme
au bord des champs mal peignés
où les hommes se lavent à grand soleil
la tête nue jusqu'à la dernière tuile de ciel
Le frisson qui compte les vertèbres
n'a pas perdu sa tondeuse usée
S'il y avait une raison de mourir
au seuil de ces portes trop hautes de jour
si la lumière se laissait caresser de la main
si l'on était sûr de ne pas être seul
dans les terrains vagues de la mort
Les parois tournantes du sommeil
ont des globes fixes pour voir
les algues qui montent vers la nuit
de l'oreille tendue des buissons
du coton du cœur
des seins étoiles que préparent les lits
Mais il reste les soirs beurrés de couchant
comme une lente indigestion d'escargots
LE plus haut toit les peupliers captifs
changent de place dans la brume trouée
La terre est si pleine de seins
qu'elle fait des collines
et qu'elle rejette le sang des pluies
dans les ruisseaux laiteux
L'haleine des feuilles mortes
à chaque visite de vent
à chaque tremblement de la terre
Les chemins déboutonnés et sans foulard
n'ont plus de détours secrets
pour courir d'un village à l'autre
à l'insu des grand'routes
La nuit doublée de la nuit des nuages
connaît parfois la faveur brève
d'un œil curieux d'étoile
ou d'un éveil étonné d'oiseau
pierre par pierre chaume par chaume
le soleil a replié les champs
assis en rond autour des bois
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012