Rouge, la gloire ourle les vagues du soir
l'eau agite ses mains de brodeuse au crépuscule
range entre ses doigts des épées et des tiares
des pêches miraculeuses, écailles pourpres, secrets d'abîme
et l'ivresse des vendanges aux plaies fumantes
A son écho l'univers, lames de nacre, confond ses voix mais l'océan apaise ses terreurs et retire ses tumultes.
Alors les étoiles effleurent pour lui l'épinette d'étincelles.
Enfin une paupière glisse
devant l'horizon où les chevaux de
Neptune se noient
chevaux de houle, de crinière d'or et de lune
Les toisons et l'eau ondulante tressent
des flambeaux de feu dans la feuille de nuit
et la flamme sur l'échiné du plus haut cheval
envoie des frissons au ciel, gravier de salpêtre
Les courtes clarinettes consacrées aux douleurs comme prêle, cristal et bris de perles répondent mal à cette misère noyée
Les chevaux d'embrun n'ont pas le goût de la mort du bouillonnement neigeux leurs pattes resurgissent en vastes et fous gestes d'apaiser des haines de supplier les flots, de convaincre le
destin
Et les bêtes palmées de désespoir retombent où naissent de nouvelles constellations de perles
Un amphithéâtre noir et somptueux assiste à l'agonie et par-dessus les vagues échanges des blasphèmes mais à l'injure, se mêlent dolents pathos sur les tempes
antiques de la mer
Avec une dure volonté de survivre
les chevaux de flammes d'argent encore espèrent
si pourtant est déjà mort leur seigneur
Neptune
cadavre de nacre perdu sur la mâchoire d'eau
plus froid que l'étang de minuit
quand il est un parvis de glace
Depuis l'éclipsé de lune son cadavre d'opale
se dissout dans les paumes d'émeraude
et dessine partout, couché sur l'écume
les contours augustes des silhouettes divines
et dans l'empire d'eau cherche une fosse éternelle
Grands nénuphars aux yeux noirs les chevaux échevelés gardent le cadavre leur foi s'attache aux âmes sans poison celles des enfants qui crient mille ans mille « les
chevaux de
Neptune, les chevaux ! »
Les héros des fées immortelles par le monde
répondent d'un cœur d'or d'airain
Alors entre les deux glaces
d'un bord à l'autre des océans
une croisade de cris renfloue l'âme des légendes
Sur la digue de velours obscur
les villages allument leur ceinture de corail
La rive s'illumine de la mort du ciel
les enfants attendent ceux qui parlent aux mythes
Le garrot d'écume encercle le dieu
autour de lui le désespoir élève des têtes marines
et chaque fois que dans la vague sombre les yeux noirs
que sur eux rejaillit leur dam en images de trépas
des hennissements de diables répondent aux enfants
« les chevaux de
Neptune, les chevaux »
Puis d'une seule flèche sanglante
le phare jacobin touche au cœur le mirage
Quand le rivage met des feux à ses lampes
les flots religieux reprennent la nuit
avec l'écheveau d'argent des crinières
et les yeux noirs s'emplissent de larmes
et l'escadron de
Neptune et
Neptune déjà mort
tout sombre dans le tombeau des mythes
Le dieu, ses panaches d'eau, ses pattes de cygne et les cris douloureux de ses chevaux d'argent ne se cabrent plus au fond des gloires rouges au rythme de l'épinette que les étoiles
caressent
Mars 1940
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012