Des hommes marchaient, qu'on regardait passer
Ils atteindraient incessamment le mois de mai
Et dans leurs mains toute la terre au grand galop
dès lors on suivrait des chemins de traverse on se mettrait à l'abri — sous des voûtes d'oiseaux — des éclipses du sang
il n'y aurait bientôt plus place
que pour la plus grande inexpérience
Le petit jour résonnerait de toutes les sommations
(ô ces frémissements déjà
de frondaisons
parmi les livres dont on tournait les pages)
Le vent, ô épousée, était alors si blond dans nos cheveux, nous étions partout à la belle étoile.
Le sommeil dressait ses tours de guet au milieu des prairies calquées sur nos désirs.
Dans le sillage de nos courses flottaient de grandes boucles d'oiseaux.
Nous ne cessions de nous trouver et de nous perdre, dans l'éblouissante blancheur de notre âge
Jeune épousée, d'où t'est venue cette nuit dans tes gestes, cette profondeur ?
D'où vient que ta voix me parvienne comme d'une bouteille jetée à la mer ?
C'était un âge flamboyant
On sonnait des hallalis de coteaux endeuillés, tu chantais
des ritournelles
de vigne vierge
O dans tes yeux toute la terre avec ses itinéraires de lait
Nous présidions tantôt
à des sacrifices de porcelaine
sous les hautes verrières des orages
tantôt à des danses rituelles
pour le printemps
et tu portais des gants de source comme l'enfant qui, par l'entrebâillement
des fenêtres, regarde pousser les montagnes
Perdue dans des pensées de verre, tu te surprenais quelquefois à effeuiller aux fenêtres — un peu, beaucoup — la marguerite des vents d'ouest.
Parfois, le seuil d'une maison donnait sur des paysages de fosses marines.
En ce temps-là, la neige n'était pour toi qu'un vêtement trop grand.
Tu habitais la moindre pierre, avec la musique.
Les arbres répondaient à des prénoms amis.
Tels que sable, alouette, ou falaise, ou lumière.
Parfois tu t'arrêtais, pour contempler les fleurs de ta respiration.
Nous présidions tantôt
à des sacrifices de porcelaine
sous les hautes verrières des orages
tantôt à des danses rituelles
pour le printemps
et tu portais des gants de source comme l'enfant qui; par l'entrebâillement
des fenêtres, regarde pousser les montagnes
O dans tes yeux toute la terre avec ses itinéraires de lait
Village d'une enfance,
perché sur une branche d'arbre
et nos cachettes sous l'écorce
Jour après jour tes mains
(comme si elles venaient de naître
dans la mer, algues
parmi les algues — et leur destin
serait d'être rejetées bientôt
sur des plages où, prenant racine,
elles donneraient naissance
aux plus anciens souvenirs) y recueillaient toutes les pluies
la pluie de printemps,
à la violence contenue de pierre ponce la pluie d'été, si vite perdue dans ses propres entrechats
la pluie d'automne,
qui baisse les yeux la squelettique pluie d'hiver
Tu parlais couramment la langue des marées
Etait-ce avant
ou après le long règne des chiens de garde ?
D'emblée
tu connaissais chaque pierre
de l'intérieur
Voyageur de tous les refus je m'abritais souvent sous ta paupière d'arbre
Etait-ce
avant ou après
que la nuit fût
coulée dans l'acier bleu des
Le vent sous ta caresse ouvrait ses longs épis de sel
et la lune lâchait la laisse des vagues
ô estuaires
j'étais cette avide langue d'argile entre de longues jambes d'eau
Etait-ce avant
ou après ?
Avais-je introduit déjà les hérissons du feu
dans la cheminée brodée
de fougères ?
La chaleur n'est jamais aussi douce
que dans la maison d'une voix
Il y a des rails
sous la mer
pour des voyages sans retour
Cherche-ton à chasser ce bruit de chaînes dans les vents du large à caresser le duvet des grands fjords
On s'aperçoit qu'on a des mains de sable...
Il faut alors
se rendre à l'évidence
tenter de chausser
les bottes de sept lieues du séisme
O dans tes yeux cette coulée de lave
Le feu ne revient jamais sur ses pas.
Ce que fait la main droite du vent, sa main gauche le défait.
Dans le petit jour, le tintement de cloches édifie des tours de sucre d'orge à l'assaut desquelles partent les enfants.
Nous sommes prisonniers d'une vieille comptine.
Un regard nous soulève.
Comme l'eau.
J'étais le héros d'ui de rocs et de feux,
où les morts se couvraient d'épines
et de blessures de roses
tandis que les vainqueurs inventaient les caresses
Passager clandestin des grandes verdures,
je reconquérais
chaque matin
de haute lutte
mon espace sous l'écorce.
La lune était oiseau de proie, et l'équinoxe son grand fauconnier
Je bâtissais des ponts
de verre
Entre le jour et la nuit
Je couvrais de fourrure les chutes d'un ruisseau...
Je me perdais dans un seul mot
Parfois la nuit tombait en plein midi dans des fracas de torrent à la fonte des neiges, et je vivais dans l'imminence des primevères
Puis il faisait une chaleur
de fête foraine, et depuis le sommet
des montagnes
mille musiques ruisselaient
Je m'endormais alors dans la paille des mots,
une églantine dans chaque œil
Dormir, sur la pente d'un arbre, dans l'encoignure de l'averse, dormir sous la dalle des souvenirs, toutes ces perdrix dans nos cheveux.
Il n'est que de s'ouvrir aux vibrations
de l'avalanche.
Chant vertical.
En ce temps-là, je m'éveillais souvent dans la prairie d'un livre où la nuit ourdissait des complots de
sureau.
En plein jour, je rejoignais l'idée même de la fraîcheur, penché sur l'abreuvoir d'un regard.
Alentour, la solitude affichait la grimace de ses gargouilles.
La peur avait mille ans.
J'étais ensuite réveillé
par les cris déchirants d'un feu mourant de faim, un grand feu d'astres
comme si la foudre roulait dans mes veines
...
O le feu des commencements, l'épervier qu'on arrache à la terre
...
L'âge de la parole
Je tentais donc un pas au milieu de mille marcheurs (qui sous sa chape de glaise qui sous son manteau d'éboulis)
n'apercevant d'autre lumière que celle que répand
du haut de sa tour
de buée l'étoile de la glaciation
Et je savais à ce moment que chaque regard
ami ou ennemi allait connaître la morsure
du goémon.
J'accédais
à la mémoire primordiale.
Ainsi des hommes étaient passés et j'avais tenté de marcher avec eux, et dans mes yeux chassaient de grands loups blancs
Or j'étais là
guettant le moment de ma naissance
jetant très loin
mes mains avec les pierres
et ce n'étaient pas mes mains c'étaient des braises tombant à l'eau
La nuit ne me surprendrait plus...
Le récif sans bouger connaît toute la mer
Toute la solitude aussi.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012