Poèmes

Je suis la terre et l’eau

par Anne Hébert

Je suis la terre et l’eau, tu ne me passeras pas à gué, mon ami, mon ami

Je suis le puits et la soif, tu ne me traverseras pas sans péril, mon ami, mon
ami

Midi est fait pour crever sur la mer, soleil étale, parole fondue, tu étais si clair,
mon ami, mon ami

Tu ne me quitteras pas essuyant l’ombre sur ta face comme un vent fugace,
mon ami, mon ami

Le malheur et l’espérance sous mon toit brûlant, durement noués, apprends
ces vieilles noces étranges, mon ami, mon ami

Tu fuis les présages et presses le chi√re pur à même tes mains ouvertes, mon
ami, mon ami,

Tu parles à haute et intelligible voix, je ne sais quel écho sourd traîne derrière
toi, entends, entends mes veines noires qui chantent dans la nuit, mon ami, mon
ami

Je suis sans nom ni visage certain ; lieu d’accueil et chambre d’ombre, piste de
songe et lieu d’origine, mon ami, mon ami

Ah quelle saison d’âcres feuilles rousses m’a donnée Dieu pour t’y coucher,
mon ami, mon ami

Un grand cheval noir court sur les grèves, j’entends son pas sous la terre, son
sabot frappe la source de mon sang à la fine jointure de la mort

Ah quel automne! Qui donc m’a prise parmi des cheminements de fougères
souterraines, confondues à l’odeur du bois mouillé, mon ami, mon ami

Parmi les âges brouillés, naissances et morts, toutes mémoires, couleurs rompues,
reçois le coucher obscur de la terre, toute la nuit entre tes mains livrée et
donnée, mon ami, mon ami

Il a su≈ d’un seul matin pour que mon visage fleurisse, reconnais ta propre
grande ténèbre visitée, tout le mystère lié entre tes mains claires, mon amour.



Poème publié et mis à jour le: 14 May 2023

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