Poèmes

J’avais la totalité du visage de l’estuaire dans ma main

par Franck Venaille

Franck Venaille

J’avais la totalité du visage de l’estuaire dans ma main
J’avais l’ensemble de sa pensée sous les doigts J’avais
Ô j’avais son étrange beauté Mienne, je la possédais m’
imprégnant de ses traits afin que — une fois disparus —
Je puisse encore encore et encore me souvenir d’eux
J’avais cette tête humaine avec ses intrications animales
Un peu de ce merle ! Beaucoup de l’épouse du cheval !
Quelques traits de la souris papivore qui crie sa peur
De paraître différente D’être différente De glisser
Au lieu de galoper De marcher De hennir J’avais la face
Animale et humaine de l’énigme Pas du Sphinx, non ! Pas
de l’homme aux yeux crevés mais (bruants — buses —
brèmes et gardons — loriots) celle de l’humanité
Blessée Meurtrie Repliée sur soi comme une figure de
Tombeau J’avais ! J’ai eu ! J’eus ! Cette noble énigme
sur laquelle — métaphoriquement — à bord du cargo Babtai
je m’interrogeai Ah ! Douleur d’être cet homme trop calme
Mais qu’un feu Une torche Un brasier intérieurs brûlent
Je l’avais ! Je distinguais le masque tragique de l’énigme
Mais, désemparé, désespéré, fragilisé par tant de souffrances
Intimes Je ne parvenais pas à comprendre le sens de cette
Possession Pourtant n’avais-je pas la totalité du corps de l’
estuaire dans ma main ? Sentant vivre sa pensée sous mes doigts
Et souhaitant la capter Me souvenir toujours et toujours de
La totalité de cette manière d’œuvre d’art Totem vous
Dis-je ! Totem allongé ! Visage énigmatique ! Son âme !
Totem ! Devant lequel, des nuits entières, je piétinais.



Poème publié et mis à jour le: 18 May 2025

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top