Poèmes

Grand Hotel

par Julien Gracq

Je suis d'une race tapageuse qui préfère à toute chose les après-midi affairés d'une ville de grand luxe, avant un gala d'opéra solen-nisant la plus longue pente
de la journée, les après-midi torrides où le soleil bourdonne derrière les futaies épaisses des stores déployés sur la façade de l'hôtel comme une
fête nautique, un pavoisement blanc et orgueilleux de régates au-dessus de l'huile noire de l'asphalte où le reflet tout mangé de flaques des feuillages se fait grêle
irréellement.

Je ne saurais sans dommage faire grâce au luxe d'aucun de ces détails de mauvais goût qui mystérieusement le poétisent : fourrures estivales, cascades
mélancoliques des pourboires sonnant au long des escaliers de pierres tombales, fumoirs aux voix empanachées assommées par les cuirs de
Cor-doue, bars-nickels de garde-malades d'où l'horizon fuit vers les jetées — mais le luxe c'est surtout, pelotonné au fond de la voiture dans les coussins au cœur
d'une soirée chaude, d'un horizon merveilleusement vert et dilaté de musiques proches, la face renversée contre le ciel vert comme des prairies, tout uni le long du visage le
vent délicieux de la vitesse coûteuse, comme la belle simplicité retrouvée^ la largesse princière, le dénûment antique de l'or pur coulant entre les
doigts.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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