Poèmes

Gigantesque chaudron

par Marcel Faure

C'est d'abord un magma, un gigantesque chaudron d'où surnagent quelques mots bulles, une écume grise, des résidus d'encre. Sur cette sorte de bouillon de culture, j'ai parsemé quelques poètes. Plus menteurs les uns que les autres, ils revenaient de voyages insensés. Ils racontaient, des îles, des terres, des continents. Leurs récits d'absinthe de rhum et d'embruns m'ont fait découvrir maintes Abyssinies que n'auraient pas reniées un Vasco de Gama ou un Christophe Colomb.
J'ai fait dans le détail des pieds et des rimes, des vers couleur marine, des sornettes à sonnet. Je caracolais dans le vieux monde sans hisser le moindre mot au-delà des étoiles. J'avais découvert l'Amérique et ne savait qu'en faire, un drôle de contrebandier sans marchandise.
J'avais pourtant compté mes doigts tant et tant que je ne savais plus combien j'en avais. La métrique m'étriquait. Je n'avais rien compris à la route qu'ils me montraient.
Les îles, c'étaient à moi de les faire naître. Je pris la haute mer dans un frêle esquif. Chahuté par les vagues, gangréné de remords, malhabile à la voile comme à la rame, j'érigeais de ma plume un mas où m'accrocher. Mon âme était mon pavillon. Je savais de quoi parler. Ma vie de papier vaudrait bien un voyage. Il me fallait piller mes propres archives, brûler mes yeux à regarder le monde, tremper mes mains dans l'immonde, ne rien oublier de ce qui nous déchire, gommer ce qui nous rend passif, vivre dans le présent plus que dans la légende, être à la foi mon prince et mon bouffon. Je me suis déshabillé et j'ai senti sur ma peau tous les mots frissonner.
J'avais compris qu'Américano Vespucci n'était pas plus important que le moindre soutier.

2017-04

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top