Poèmes

Êpître a la Damoiselle Négligente de Venir Voir Ses Amis

par Clément Marot

Amitié

Ne pense pas, très gente damoisellc,
Ne pense pas que l'amour et vrai zèle
Que te portons jamais finisse et meure
Pour ta trop longue et fâcheuse demeure.

Fâcheuse est-elle au moins en nos endroits.
Mais ores quand quarante ans te tiendrais
Loin de nos yeux, si aurait-on (pour voir)
Records de toi et deuil de ne te voir :
Car le long temps ne l'absence lointaine

Vaincre ne peut l'amour vraie et certaine.
Si t'avisons, notre
Amie très chère,
Que par-deçà ne se fait bonne chère,
Que de t'avoir on ne fasse un souhait.
Si l'un s'en rit, si l'autre est à son hait,

Si l'un s'ébat, si l'autre se récrée,

Sitôt qu'on tient propos qui nous agrée,
Tant que le cœur de plaisir nous sautclle, «
Plût or à
Dieu (ce dit l'un) qu'une telle
Fût or ici. »
L'autre dit : «
Plût à
Dieu

Qu'un ange l'eût transportée en ce lieu.


Mais plût à
Dieu (dit l'autre) que
Astarot '
L'apportât saine, aussitôt qu'un garrot. »
Voilà comment, pour ta fort bonne grâce,
Il n'y a cil qui son souhait ne face

D'être avec toi : et ne pouvons savoir
I ourquoi ne viens tes amis deçà voir.
Le chemin n'est ni fâcheux, ni crotté ;
En moins d'avoir dit un
Obsecro te,
En nos quartiers tu serais arrivée :

Pourquoi donc es de nous ainsi privée ?
Possible n'est que bien t'excuser susses.

Bref, nous voudrions qu'aussi haut voler pusses

Que le haut mont d'Olympe ou
Parnassus ;

Ou qu'eusses or le cheval
Pégasus ,
Qui te portât volant par les provinces ;

Ou qu'à présent à ton vouloir tu tinsses

Par le licol, par queue, ou par collet

Le bon cheval du gentil
Pacollet;

Ou que de là jusque ici courût eau,
Que biche, ou cerf, que le
Roi chassa oneques ;

Ou que de là jusque ici courrût eau,

Qui devers nous te menât en bateau.

Lors n'aurais-tu bonne excuse jamais,

Mais saurait-on si en oubli tu mets
Les tiens
Amis.
Car adonc ne tiendrait,

Fors seulement au bon vouloir et droit,

Et à l'amour, qui aux gens donne soin

De venir voir les
Amis au besoin ;

Quoiqu'envers toi n'avons peur qu'elle faille,
Mais prions
Dieu qu'excuse te défaille,

Afin qu'amour, qui onc ne te laissa,

A nos désirs t'amène par-deçà.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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