Poèmes

Cache-misère

par Marcel Faure

J'ai une tendresse particulière pour mes vieilles casseroles.
Maintenant que je suis sourd elles font moins de bruit.

Ma nouvelle télé n'embellit pas l'image du monde.
Je crois que mes cataractes n'y sont pour rien

Mon portable déraisonne
Il veut me vendre un nouveau portable
C'est suicidaire

Les touches de mon clavier ne sont pas lumineuses
Comment voulez-vous que j'aie de belles idées

Mes mains me servent de lave-vaisselle
Il paraît qu'il y a mieux

La table de la cuisine a descendu les escaliers quatre à quatre
Moi quand j'essaie je me casse la figure

En croisant un clochard mon t-shirt est blanc comme neige
Normal il profite de mes cataractes et de ma surdité

La poussière du salon se fout de moi
Je le lui rends bien

Depuis quelques années je fais des ans supplémentaires
Gratos évidemment c'est bien dommage pour ma retraite

Le soir mon cerveau a du mal à supporter la lumière
Je crains le court-circuit

Depuis longtemps mes bourses ont fait faillite
Et l'eau me monte au robinet
Dans un poème d'Apollinaire
J'atteindrai bientôt le niveau d'alerte
Mon slip n'est plus qu'un cache-misère

Il faudrait vraiment que je fasse du rangement dans les tiroirs du dictionnaire
Ce sont de vrais yaourts surréalistes

Certains jours j'écris comme vache qui pisse
Un lait noir dont je fais mon fromage
J'ai la bouche pleine de mots
J'étouffe

Pourtant
Quel plaisir de faire enrager les statistiques de mortalité
Fils d'ouvrier
Je n'étais pas prévu pour durer si longtemps
La faute à l'industrie
J'ai mangé trop de conservateurs

2017-03

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