Ô vous les désarmés au cœur nu solitaire
Vous qui savez le poids de l’eau et de la terre
Révoltés dont le front saigne en heurtant les murs,
Lutteurs toujours blessés dans des combats obscurs
Vous qui mettez le ciel en courbes et en lignes,
Chercheurs penchés sur les figures et les signes,
Vous dont les cœurs transis ne sont qu'un long hiver
Et vous les chemineaux du fleuve et de la mer
Hommes au regard clair de tranquille courage,
Cinglés de vent, de pluie et flagellés d’orage,
Vous dont l’âme dit « va » quand le corps crie « assez »,
Vous les sanglants, les sans-répit, les harassés,
Venez, voici le feu votre haillon qui fume
Vous rend pareils aux Dieux environnés de brume.
Revivez, corps glacés, bras morts, pieds engourdis,
Voici, ô réprouvés, un peu de paradis.
Mains qui cherchiez une arme et poings crispés de haine,
Détendez-vous, c’est l’heure, ouvrez-vous fleurs humaines,
La flamme haletante avec ses reflets brefs
Sculpte vos traits puissants en creux et en reliefs
Faces d’argile enfin durcies, ombre et lumière,
Le feu vous a donné votre force dernière.
Il a mis dans vos yeux comme un astre inconnu,
Le reflet d’un soleil que vous n’espériez plus.
Il est dans chaque flamme un envol d’oiseau ivre
Et sur chaque bûcher un saint qui se délivre.
Regardez, s’enivrant de sa propre ferveur
Le bois transfiguré dont a Dieu la faveur
Fagots en feu, fumées envahissant l'espace,
Dans l’odeur des forêts incendiées il passe,
Diaphane déjà, bientôt immatériel,
De l’humain Caliban au divin Ariel.
A elle-même votre âme s'est révélée ;
La flamme qui jaillit est le sang d'une plaie.
Sur le charbon qui flambe et le métal qui fond
D’immenses brasiers roulent leurs feux profonds.
Dans les lueurs, dans l’or dansant, dans l’air qui vibre,
Ames et corps, brûlez comme du bois la fibre !