Poèmes

Soleilland

par Edmond Jabès

Un pays où les écriteaux ont des ongles        
N'entre pas qui veut   
Où les pierres sont hors des paupières ravagées la terre
L'ombre y risque        
le matin Les branches combien de nœuds de soif de fruits les immobilisent
depuis les racines       
Un pays une ville au bas d'un mur    
où des enfants jouent à traquer l'air   
à crever les grands yeux bleus de l'air           
où les filles soulèvent leur robe d'eau-de-vie
à minuit          
Mon amour un pays une viIle une chambre
que l'huile des croisées prolonge       
que le quartz du soir tombant délimite          
où les verrous sont des écrins de clé des songes       
sur lesquels tu écris ton nom  
où l'eau coule entre les dogs  
lorsque fléchit la lampe         
Mon amour un pays une ville une chambre un lit
L'univers y germe en frondes d'araignée semelles de lynx
On entend la vie gonfler les veines
du silence
Toute chose se te et se complait
dans sa forme
Mon amour un pays une ville une chambre un lit un mort
qui circule
quand tout se tait
Je ne t'ai jamais parlé de lui
mon frère mon allié
seul à se souvenir
à égrener indéfiniment le chapelet glacé de l'âme
La douleur met le feu
à l'ombre Les tempes s'irisent
à leur insu
Mon amour un pays une ville une chambre un lit un mort
 un toit
Cendrillon réveille des bracelets de fête dans le fleuve
avec son pied nu
L'orchestre fait éclater des fèves d'orgie d'or
amour des chevelures grisées
On tue comme on chante
Une fille a perdu sa traîne de myrtils de nonchalance
et l'alouette de ses soucis
Les saisons dans les miroirs
abattent leurs cartes truquées
Mon amour un pays une ville une chambre un lit un mort
un toit un collier
La faute n'est pas au voile d'arête qu'on écorche
ni à la perle réfugiée dans le grenier
Le marin a la rime facile
Son amie exhibe des boucles de cornes de requin
et une ceinture de lames de faon
Mon amour un pays une ville une chambre un lit un mort
un toit
J'ai rendu le collier
Mon amour un pays une ville une chambre un lit un mort
Le toit s'est écroulé
Mon amour un pays une ville une chambre un lit
Le mort est enterré
Mon amour un pays une ville une chambre
Le lit est défait
Mon amour un pays une ville
La chambre est vide
Mon amour un pays
Quelle était cette ville
Mon amour notre amour
sans pays



Poème publié et mis à jour le: 23 December 2022

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