Un enfant noir contre la nature a mille ressources, dans sa lutte contre les saisons plus d'un atout, dans sa façon d'aspirer toute la vie qui naît du majestueux soleil, de tous les
rocs polaires, une force, une joie, un appétit, une coquetterie qui fait pâlir la lionne fantaisie de la forêt abritant de frêles arbres.
L'enfant noir crie quand vient tomber sur sa peau douce et pure comme l'eau de source que les rocs ont filtrée le jour qu'un horloger avare distribue en compte-gouttes.
L'enfant noir crie et demande que son corps, le diamant de sa peau qui illumine ses nuits se substitue au soleil inconstant.
L'enfant noir demande que sa peau plus riche qu'un ciel de fête de Noël prenne la direction d'un monde en ténèbre par la fumée qui monte des couches de l'or.
C'est pour cela que de tout temps rit l'enfant noir.
C'est l'argument de son sourire, la source inépuisable de la plus grande bonté, quelque chose qui ressemble à la racine même de la vie. Ni vouloir de dominateur. Ni soin
calculé de charmé. Ni stupide besoin d'amuser.
L'enfant noir rit avec ses pores au moment où s'annonce l'aurore.
L'enfant noir offre ses cheveux à l'aube qui égrène chaque matin un jour nouveau sur tous les peuples.
Et l'aube est désarmée car les cheveux d'un enfant noir sont un chapelet interminable. C'est le miroir des jours qui naissent indéfiniment, interminablement.
Les cheveux de l'enfant noir, c'est le matin qu'ils sont beaux quand le songe les a arrimés comme des grains de poivre l'un à côté de l'autre
C'est un présent du plus insoutenable soleil
Les cheveux de l'enfant noir ont eu la confidence des temps
Mais l'enfant noir pleure
parce que le jour épuise comme un ennemi parce que la faim met à l'épreuve tous ses sens
innocents parce qu'un besoin court-circuité devient monstrueux dans un songe et ressurgit plus impérieux le matin parce que le pain du matin jusqu'au soir n'est pas
rentré dans la maison parce que les huissiers ont sommé son père de
déloger parce que l'instituteur l'a fouetté pour une leçon oubliée sous l'empire de la faim Et puis ses camarades ont ri de la plante de ses pieds, les semelles ont
cédé avant la fin de l'année
Et puis ses lèvres sont blanches car depuis le matin elles n'ont reçu que de l'eau pour l'office de ses dents Et puis l'enfant a transpiré toute la nuit et ses genoux sont
faibles
L'année s'écoulera
Un autre Noël viendra sans surprise sans cadeau
Et la fête des Saints-Innocents aussi
Et le premier jour de l'an aussi
Mais la maison n'est toujours pas payée Et les banquiers sont impatients
Et l'enfant noir en sortant de l'école s'arrête devant les vitrines, regarde les jouets, et les narines rappellent le souvenir d'un nouvel an, rappellent un plat préparé par
la mère, la mère infatigable, la seule magie de la maison, la mère qui fait réciter les leçons avant de prendre sa bible pour implorer la grâce, la mère
exemplaire, la mère invaincue, la mère qui tient tête à toutes les saisons aux monstres des banques, aux lois des tribunaux
Et cette mère apprend à l'enfant l'oubli des soucis
le secret de toute force
Elle apprend aussi à l'enfant à désirer en tout temps la puissance
Cette mère s'est installée dans son enfant pour boire ses larmes, pour lui apprendre à rire, à désirer invinciblement
Et puis à l'enfant elle a dit : Deux ruisseaux sur mes joues sont creusés le long de mes narines pour pleurer à ta place et je te lègue toute ma force de rire pour
l'avenir
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012