Poèmes

Oh! Je Sais

par Victor Hugo

Victor Hugo

I

Oh! je sais qu'ils feront des mensonges sans nombre
Pour s'évader des mains de la
Vérité sombre.
Qu'ils nieront, qu'ils diront : ce n'est pas moi, c'est lui.
Mais, n'est-il pas vrai,
Dante,
Eschyle, et vous, prophètes?

.
Jamais, du poignet des poètes.
Jamais, pris -au collet, les malfaiteurs n'ont fui.
J'ai femié sur ceux-ci mon livre expiatoire;
J'ai mis des verrous à l'histoire;
L'histoire est un bagne aujourd'hui.

Le poète n'est plus l'esprit qui rêve et prie;

Il a la grosse ciel de
Ja conciergerie.

Quand ils entrent au greffe, où pend leur chaîne au clou,

On regarde le prince aux poches, comme un drôle.

Et les empereurs à l'épaule;
Macbeth est un escroc.
César est un filou.
Vous garde/ des lorcats, ô mes strophes ailées!

Les
Calliopes étoilées2

Tiennent des registres d'écrou.

II

O peuples douloureux, il faut bien qu'on vous venge!
Les rhéteurs froids m'ont dit :
Le poète, c'est l'ange.
Il plane, ignorant
Fould,
Magnan,
Morny,
Maupas;
Il contemple la nuit sereine avec délices... —

Non, tant que vous serez complices
De ces crimes hideux que je suis pas à pas.
Tant que vous couvrirez ces brigands de vos voiles,

Cieux azurés, soleils, étoiles,
Je ne vous regarderai pas!

Tant qu'un gueux forcera les bouches à se taire.
Tant que la liberté sera couchée à terre
Comme une femme morte et qu'on vient de noyer.
Tant que dans les pontons on entendra des râles'.

J'aurai des clartés sépulcrales
Pour tous ces fronts abjects qu'un bandit fait ployer;
Je crierai :
Lève-toi, peuple! ciel, tonne et gronde!

La
Fiance, clans sa nuit profonde.

Verra ma torche flamboyer!

III

Ces coquins vils qui font de la
France une
Chine2,

On entendra mon iouet claquer sur leur échine.

Ils chantent :
Te
Deum, je crierai :
Mémento!

Je fouaillcrai les gens, les faits, les noms, les titres,
Porte-sabres et porte-mitres;

Je les tiens dans mon vers comme dans un étau.

On verra choir surplis, épaulettes, bréviaires,
Et
César, sous nies étrivières.
Se sauver, troussant son manteau!

Et les champs, et les prés, le lac, la fleur, la plaine.
Les nuages, pareils à des
Hocons de laine,
L'eau qui fait frissonner l'algue et les goémons,
El l'énorme océan, hydre aux écailles vertes,

Les forêts de rumeurs couvertes,
Le phare sur les flots, l'étoile sur les monts1.
Me reconnaîtront bien et diront à voix basse :
C'est un esprit vengeur qui passe.
Chassant devant lui les démons!

Jersey.
Novembre 1852.



Poème publié et mis à jour le: 16 November 2012

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