C'est un funeste siècle et c'est un dur pays.
Oh ! que d'Herculanums et que de
Pompéis
Enfouis dans la cendre épaisse de l'histoire !
D'horribles rois sont là ; la montagne en est noire.
Assistés au besoin par ceux du mont
Ventoux,
Ceux-ci basques, ceux-là catalans, méchants tous,
Ils ont de leurs donjons couvert la chaîne entière ;
Du pertuis de
Biscaye au pas de l'Argentière,
La guerre gronde, ouvrant ses gueules de dragon
Sur toute la
Navarre et sur tout
PAragon ;
Tout tremble ; pas un coin de ravine où ne grince
La mâchoire d'un tigre ou la fureur d'un prince ;
Ils sont maîtres des cols et maîtres des sommets.
Ces pays garderont leurs traces à jamais ;
La tyrannie avec le fer du glaive creuse
Sur la terre sa forme et sa figure affreuse ;
Là ses dents, là son pied monstrueux, là son poing ;
Linéaments hideux qu'on n'effacera point,
Tant avec son épée impérieuse et dure
Chaque despote en fait profonde la gravure !
Or jamais ces vieux pics pleins de tours, exhaussés
De forts ayant le gouffre et la nuit pour fossés,
N'ont paru plus mauvais et plus haineux aux hommes
Que dans le siècle étrange et funèbre où nous sommes ;
Ils se dressent, chaos de blocs démesurés ;
Leur cime, par-delà les vallons et les prés,
Guette, gêne et menace, à vingt ou trente lieues,
Les villes dont au loin on voit les flèches bleues :
De quelque chef de bande implacable et trompeur
Chacun d'eux est l'abri redouté ; leur vapeur
Semble empoisonner l'air d'un miasme insalubre ;
Ils sont la vision colossale et lugubre ;
La neige et l'ombre font, dans leurs creux entonnoirs,
Des pans de linceuls blancs et des plis de draps noirs ;
L'eau des torrents, éparse et de lueurs frappée,
Ressemble aux longs cheveux d'une tête coupée ;
Dans la brume on dirait que leurs escarpements
Sont d'une boucherie encor tiède fumants ;
Tous ces géants ont l'air de faire dans la nue
Quelque exécution sombre qui continue ;
L'air frémit ; le glacier peut-être en larmes fond ;
Fatals, calmes, muets, et debout dans le fond
De la place publique effrayante des plaines,
Sur leurs vagues plateaux, sur leurs croupes hautaines,
Ils ont tous le carré hideux des castillos,
Comme des échafauds qui portent des billots.
Poème publié et mis à jour le: 16 November 2012