Poèmes

Les Mages

par Victor Hugo

Victor Hugo

Pourquoi donc faites-vous des prêtres
Quand vous en avez parmi vous?
Les esprits conducteurs des êtres
Portent un signe sombre et doux.
Nous naissons tous ce que nous sommes.
Dieu de ses mains sacre des hommes
Dans les ténèbres des berceaux;
Son effrayant doigt invisible Écrit sous leur crâne la bible
Des arbres, des monts et des eaux.

Ces hommes, ce sont les poètes;
Ceux dont l'aile monte et descend;
Toutes les bouches inquiètes
Qu'ouvre le verbe frémissant ;
Les
Virgiles, les
Isa'ies;
Toutes les âmes envahies
Par les grandes brumes du sort;
Tous ceux en qui
Dieu se concentre;
Tous les yeux où la lumière entre,
Tous les fronts d'où le rayon sort.

Ce sont ceux qu'attend
Dieu propice
Sur les
Horebs et les
Thabors;
Ceux que l'horrible précipice
Retient blêmissants à ses bords;
Ceux qui sentent la pierre vivre;
Ceux que
Pan formidable enivre;
Ceux qui sont tout pensifs devant
Les nuages, ces solitudes
Où passent en mille attitudes
Les groupes sonores du vent.

Ce sont les sévères artistes

Que l'aube attire à ses blancheurs,

Les savants, les inventeurs tristes,

Les puiseurs d'ombre, les chercheurs,

Qui ramassent dans les ténèbres

Les faits, les chiffres, les algèbres,

Le nombre où tout est contenu,

Le doute où nos calculs succombent,

Et tous les morceaux noirs qui tombent

Du grand fronton de l'inconnu!

Ce sont les têtes fécondées
Vers qui monte et croît pas à pas
L'océan confus des idées,
Flux que la foule ne voit pas,
Mer de tous les infinis pleine,
Que
Dieu suit, que la nuit amène,
Qui remplit l'homme de clarté,
Jette aux rochers l'écume amère,
Et lave les pieds nus d'Homère
Avec un flot d'éternité...



Poème publié et mis à jour le: 16 November 2012

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