Poèmes

Les Gisants

par Rina Lasnier

Faste féodal des gisants incarnés dans la pierre

— couche portée par la paumée pierreuse de la terre.

Ni tombeau ni alcôve à dérober la chair — mais ce lit de parade et cette intimité hautaine,

et ces deux liturgistes de l'éloge de la mort — par l'allégeance du corps à figuration glorieuse.

Onciale de la mort à ce texte royal — et
Dieu récrit sa loi sur deux tables de pierre façonnée.

La croix de bois descendait l'ombre au front plé-

béien — mais les gisants prennent seuls les stigmates de la lumière.

Le sang viril de la pierre est puissance de durée — car la terre fait de ses douleurs des pierres,

elle les chasse en montagnes apointies de regards — elle les projette en hauteur couvée par les vents.

Voici la chair dans sa noblesse de pierre blanche

— comme la neige dans son intention de lumière.

et comme un pays tout entier simplifié par la neige — voici la chair dans le bliaut étroit de sa pureté ;

la chair dans l'audace de la foi maçonnée — pour le jointoyage de l'âme et du corps;

la chair dans le clair scandale de la recouvrance — comme l'enfance réformant la mort par sa jeune incrédulité.

Affleurement et faste de la face au-dessus des limons — par cette pierre qui a surmonté la terre et franchi les bras de l'eau.

Les gisants prendront l'âge fidèle de la pierre — et porteront l'amour plus âgé que la lumière ;

ils sont la blancheur d'avril insérée dans la sève de l'hiver — ils sont l'arbre étage de songes par le silence des oiseaux.

C'est par le poids des morts que la terre résiste à l'astre — c'est par cette pesée qu'elle ne fuit pas par le haut comme la mer ;

par cet orgueil pâle du corps dans sa montrance — par ces gisants aux yeux affouillant le ciel,

la pierre n'a plus de pacte avec les tombeaux — mais avec la seule main qui la basculera dans le soleil.

Comme la sainteté qui ne sort plus de ses nimbes naïfs — l'amour ne sortira plus de cette simple durée ;

les gisants n'ont plus besoin de mots qui passent la pierre — ni des regards qui passent l'eau longue de la mer.

Ils ont cette parole intérieure restaurée par le silence — ils ont, lové aux lèvres, le mélange des baisers.

Ils ont gardé leurs épousailles à hauteur d'épaules accolées — par seigneurie et par droit d'altière vigilance ;

car ils sont devant
Dieu la postérité de la première image — la beauté connivente et circoncise de la jalousie charnelle.

Ils ne changeront ni de bouche ni de baiser — ils dorment leur sommeil dans la délégation de l'amour.



Poème publié et mis à jour le: 16 November 2012

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