Poèmes

L'Endormie

par Max-Philippe Delavouët

De touffes de fleurs je puis frôler tes yeux

ou rafraîchir tes tempes avec des feuilles...

Ni les caresses d'or, si elles étaient fleurs de feu,

ni la fraîcheur des neiges, si les feuilles étaient mouillées,

ne pourraient te faire remonter du sommeil clair comme l'eau où tu te laisses flotter.

O corps jaspé de lumière, l'ombre entoure un tunnel

où le ruisseau s'en va sous les branches inclinées ; et tout rayon qu'accroche l'herbe est fleur de jonc fleuri

qui tremble sur toi quand ta nage l'écarté ; et si des abeilles te font peur, ce ne sont qu'éclaboussures qui s'envolent de la fleur.

Et tout courant conquis aussitôt effacé, tu poses sur le coussin que l'eau tisse avec elle-même ta joue alanguie et tes longs cheveux épandus, prisonnière sans forces
au flot que rien n'épuise,

lasse de n'avoir vu autre chose que ton constant reflet sur le fond toujours divers.

L'eau qui semble muette dans l'écoulement du

ruisseau, l'eau s'entortillant dans la même spirale, l'eau dans ton oreille, amie, que dit-elle qui s'agrandit en toi par cercles souverains

et prend ton cœur au tourbillon en tirant après lui tout son long racinage ?

C'est le songe d'un songe, il ne te faut pas faiblir pour ne pas te défaire en racines répandues.
Il faut échapper par ruse aux ruses de l'oubli pour qu'échappe à l'oubli mon songe de naïade...

Oublie l'eau et ses conseils : tout miroir est sans fond s'il mire trop le ciel.

Ni souvenir, ni espoir ne doivent caresser ton cœur avant que l'eau ne devienne un autre cœur qui pleure.
Oublie les pentes des gouffres de la mort, regarde le soleil, oublie, ce n'est point l'heure encore

où source d'eau et source de feu se confondront pour finir en même source de nuit.

Sous tant d'eau, lumineux, enténébré, tu trouveras ton dieu, même s'il se cache en sa grotte, même si vers l'oubli il s'entête à t'attendre...
Lorsqu'il tournera son profil tu verras ses yeux sombres

frémir comme de faibles lumières et ses lèvres dans l'eau épandront ton nom.

Lui te verra comme l'archange aux ailes brisées qui flotte au ciel, là-haut dans l'insondable mare, les bras en croix, les pieds joints, le cou penché, et tournant lentement dans
le remous comme une feuille...

Et, au même instant, tu le verras comme un ressuscité qui te tend les bras.

Tu diras : «
Toi qui m'aimes et me persécutes !
Toi qui me chantais très haut ta terrible romance, pourquoi faut-il, démon, que tu sois si têtu?
Sans cesse en rêvant je fuyais ton amour,

mais toi seul savais alors que, reflet par les eaux, mon cceur n'était que d'eau... »

«
Plonge au plus profond, te dira-t-il, et confonds aux poussières d'un lit clair le sable de tes astres et au trou de l'eau un ciel qui est sans fond.
Ame, monte au plus haut où l'amour t'appelle, puisque tu ne sais plus, parmi les reflets, si c'est dans l'eau ou le ciel que, lentement, tu vas tomber. »

Qu'en filtrera-t-il à travers tes cheveux blonds jusqu'aux profondeurs secrètes de ton oreille rose ?
Tu peux fort bien ne pas l'entendre, et du talon tu peux frapper l'eau, et te trouver au milieu d'une rose

qui s'étale sur les dieux jusqu'à la rive en aplomb du monde, où je suis.



Poème publié et mis à jour le: 12 July 2017

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