Poèmes

Le Passant de L'Athos

par Bernard Noël

(extraits)

un mot cherche mon cœur moi autour de lui

je cherche comment s'accroche à son présent

un peu de cette chose qui flotte ici

partout dévastation ruines et cependant

que sa belle image est mordue par le temps

saint
Jean trempe sa plume dans la lumière

d'un geste égal mais le jet lumineux vise

on ne sait quelle partie du corps voici

des mouches elles vont butiner sa poussière

puis s'envolent vers le cul-de-four où
Dieu

a tellement noirci qu'il est négatif

l'aigle et
Jean même auréole et plus qu'une aile

au lion de
Marc l'œil un petit lac de larmes

Luc le visage mangé par le moisi

est devenu un nègre à la barbe blanche

plus de
Mathieu juste un trou dans le mortier

et quelques os de brique rose un frelon

tire mon regard vers là-haut la coupole

au premier cercle les restes d'une épaule

dans le second huit anges chacun six ailes

deux vers le bas deux vers le haut deux ouvertes

le tout d'une sensualité extrême

chaque ange paraissant par deux fois pourvu de la zone bien fendue que les humaines n'ont qu'une fois et l'amour serait à faire dans un embrassement du haut et du bas circulaire et sans
fin une roue toujours en mouvement le même frelon descend vers la coulée de fiente fraîche mon œil enflammé pourtant n'ose pas s'en servir mais je confonds
peut-être fiente et fiel et me voilà au milieu d'aujourd'hui le regard soudain cassé par le soleil le vide et la peur de l'escalier pourri les yeux tâtent l'air sur leur
gauche et surgit la brusque surprise

le
Blanc le
Blanc le
Blanc pousse au fond du ciel son érection de craie et par-dessus vie mort et réalité plante un formidable non à leurs raisons

aucun corps là-haut chez les anges à six ailes leur sensualité s'accroît de ce rien mais s'envoyer en l'air pour une auréole n'est-il pas de bonne guerre virtuelle moi
qui tous ces jours-ci n'ai pas plus de sexe qu'un petit
Jésus j'écoute au loin des mots grecs bulles de son pareilles à ces mystères qui roulent dans l'espace et font dans l'oreille des pets il y a davantage de mouches qu'hier
mais les pigeons n'ont rien ajouté je suis venu voir le
Blanc

il est coiffé d'une pyramide laiteuse le seul nuage en vue dans tout le ciel coton qui couvre ainsi la violence de la durée

l'image et le mot sont-ils liés ou bien l'un toujours après l'autre pour que le voir ou le dire l'emporte chacun son tour ce que les yeux ont vu là-bas être vu ne lui suffit
pas cela s'érige et rôde et rue contre le mouvement du poème mais qu'est-ce qu'un élan minéral et blanc un silence vertical un temps de pierre

l'arracher de mes yeux en faire autre chose

me disais je en montant l'escalier de marbre

qui donne sur le vide ensuite je marche

sur la crête d'un mur puis sur de vieilles planches

rongées par la pluie le soleil cette fois

je sais où il se trouve et il est bien là

mais tout gris dans la buée bleue le bois craque

sous mon poids ou le torrent de lumière

assis dans la fraîcheur en ruine je vois

la plume de
Jean prendre l'air comme fait

la langue pas la mienne qui tourne en vain

un bout de souffle et n'en tire pas de forme

un bout de plâtre tombe de la coupole

et crée de la poussière avec ce qui fut

une feuille à ma main semblable et pourquoi

suisje troublé par l'intacte l'implacable

jeunesse des quatre colonnes de marbre

leur peau si transparente dans le soleil

leur galbe insolent de sirènes de pierre

très ordinaire un pic ce matin flanqué d'une double pente qui sert d'horizon un saint décoloré dans sa niche et moi regardons le ciel un peu de vent souligne le silence
à gauche un bâtiment ruiné le feu a cuit les pierres tordu le fer la cendre qu'on voit serait celle des livres

les mots se passeraient bien des choses comme les doigts des morts n'ont pas besoin d'être utiles le tonnerre au loin remue un tas de caisses vides les quatre ifs de la fontaine indiquent
la direction de l'immobile la terre tourne sans faire crier l'air juste un rond remous bleu dans l'épaisseur d'on ne sait quoi

l'apprenti théologien m'a découvert

caves et sous-sol des centaines de mètres

croisé des tonneaux grands comme des cabanes

vu la machine énorme qui fut moulin

poutres brûlées pendant à des roues de fer

à des tiges tordues des palans brisés

tout cela sous la bibliothèque incendiée

marché dans les couloirs où passa le feu

de vrais fours aux murs rouge et blanc bris de brique

où chaque pas bat briquet sur les éclats

plus de flammes la peau des pierres est en cendres

grande pièce meublée de tas de gravats

une autre de tas de ferrailles pics pioches

marteaux leviers une autre de mystérieux

tambours à manivelle et piles de plats

une autre de centaines de pieds en bois

autrefois je cassais dit l'étudiant

en arrêt devant une boule de verre

moi je ramasse des objets et les classe

d'un côté flacons bocaux encriers bouteilles

bonbonnes la plupart en verre soufflé

de l'autre outils de bois tabourets bancs râpes

à laver le linge et cela qu'en
Aubrac .--_

on appelait « maluque » et qui est massif

marteau de bois le père
Paul réunit

toutes les icônes et toutes les images

portraits du tsar de la tsarine chromos

lithographies de
Moscou et de
Paris

d'Istanbul de
Saint-Pétersbourg de
Londres

une ville en flammes est posée là-dessus

et c'est à ma surprise non pas
Moscou

se suicidant pour chasser
Napoléon

mais la fameuse gravure en noir et rouge

où l'on voit flamber dans
Paris la vengeance

qu'aux monuments boutèrent les pétroleuses

qui diable apporta jusqu'ici cette image

un des crânes de l'ostéophylakion

a-t-il contenu la pensée communarde

dans le ciel buée blanche au levant buée rose au couchant
Vénus marque le plus haut la bouche d'ombre a mangé saint
Jean et moi

chassé par le noir de la chapelle grecque je suis seul sur la passerelle de planches j'attends la fin et l'autre commencement le
Blanc est gris un fantôme ourlé d'écume grand silence partout puis un grillon gratte sa crécelle pas de pensée la présence du présent tout à coup un
roulis d'averse dans la proche montagne un torrent d'air qui n'est plus qu'un souille en arrivant ici trois étoiles pointent je leur prête des noms elles sont en fait le timon du
chariot une lueur grandit derrière l'église mon visage attend son flot avec ferveur ô qu'il baigne dans mes yeux la vie passante et que cette lune soit la renversante qui fera
venir le corps au bout du nom mille étoiles à présent et le bleu noircit on dirait que le plus profond fait surface et met sur elle ce qu'il gardait dessous la lune est
cachée derrière une coupole la corniche en fait rejaillir la lumière comme fait une pierre sous un jet d'eau l'aplat des planches est un velours de chaleur je m'allonge dessus la
nuque posée sur un morceau de marbre et vient le sommeil quand la pleine lune perce mes paupières elle est au milieu du ciel et c'est un point une roue d'or un œil au sommet
du
Blanc mais qui lune ou roc fait jaillir l'aura blanche



Poème publié et mis à jour le: 12 July 2017

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