Puisque beaucoup de gens font des « vers »,
Je veux me distinguer d'eux :
Je ferai une « verse »,
Car ce monde est tant à rebours
Qu'il fait de l'endroit l'envers,
Et, tout ce qui est, le renverse.
Tout ce que je vois est tromperie :
Le père vend le fils
Et l'un dévore l'autre.
Le plus gros blé est mil ;
Le chameau est lapin ;
Le monde dedans et dehors
Est plus amer qu'aconit.
Je vois le pape faillir :
Il veut, riche, s'enrichir encore.
Et il ne veut pas voir les pauvres.
Il veut recueillir l'argent.
Et s'en fait joliment servir ;
En vêtements dorés il veut siéger ;
Et il est bon marchand.
Puisqu'il donne contre deniers
Evêchés à gens de sa maison ;
Il nous envoie des collecteurs,
Quêtant avec leurs lecteurs.
Qui donnent indulgence contre poids de blé.
Ou même en font directement somme en «pougeois »
Les cardinaux honorés
Sont préparés, selon
Ce qu'on dit. tout le jour,
Pour faire tôt un marché.
Si vous voulez un évêché
Ou une abbaye,
Et si vous leur donnez beaucoup d'argent,
Ils vous feront avoir
Chapeau vermeil ou crosse.
Avec fort peu de savoir
-
A tort ou dûment -
Vous aurez gros revenu.
Pourvu que donner peu ici ne nuise.
Des évêques le fait me plaît !
Es écorchent la peau
Aux prêtres qui ont de la rente.
Et ils leur vendent leur sceau
Sur un peu de papier ;
Dieu sait s'il y faut dédommagement !
Et ils font beaucoup plus de mal :
A un artisan
Ils font pour de l'argent une tonsure.
Tout cela est un mal public
En la cour « temporellel »
Car elle y perd sa droiture.
Et par-là l'Église empire.
À présent il y aura
Beaucoup plus de clercs, de prêtres, par ici,
Qu'il n'y a de bouviers.
Chacun rabaisse son pareill :
Ils sont bien instruits, je le sais,
Mais qu'il ne me faille jamais le dire !
Ils sont chacun en faute,
Car ils vendent les sacrements
Et surtout les messes.
Quand ils confessent les gens
Laïques, non coupables,
Ils leur donnent de grandes pénitences,
Mais non point aux « prêtresses ».
Les ordres religieux font semblant
De grande pénitence,
Mais pour sûr ils n'en font guère ;
Ils vivent deux fois mieux
Qu'ils ne faisaient auparavant.
En la maison de leur père
On vit mieux de mêmel.
Comme mendiants ils sont malhonnêtes
Et sous l'habit disposent la nasse.
Et beaucoup d'hommes pauvres
Se mettent dans un ordre
Parce qu'ils n'ont pas de revenu certain ;
Sous l'habit ils font magasin.
De faux médecins je vois, nombreux.
Qui font faire des sirops,
Liniments et médecines ;
Par-là ils volent leurs profits.
Je voudrais que chacun d'eux fût éclopé.
Parce qu'ils font de fausses prescriptions.
Les mauvais apothicaires
Sont consentants à la chose
Et vont par la voie tortueuse.
Tous sont si habiles
Qu'avec une nouvelle expérience
Ils font mourir beaucoup de gens
En dépit de la hart (qu'ils méritent).
Je vois de faux avocats
Qui plaident âprement
Pour fort petite chose.
Et ces libelles sans légalité
Prennent une apparence de droit.
De parler ils n'ont trêve.
Ils louent fort «plaider»
Et ne veulent point d'accord.
Mais au contraire qu'on en vienne à se quereller.
Tant d'hommes de haut rang sont morts
Parce que les avocats soutenaient la cause injuste.
Que je voudrais que se perdît cette engeance
Et que s'arrêtât leur langue.
Trop faussement agissent
-
Se parjurant et mentant -
Ces faux notaires-ci.
Pour tromper les gens
Ils font un long acte.
Afin qu'ils en aient grand salaire.
Si vous leur demandez des papiers,
Ils diront : «
Venez mercredi,
Parce que maintenant il ne m'est pas possible de chercher.
Pourtant si vous offrez
Cinq sous, ou six, ou dix,
Vous pouvez obtenir tout cela,
Pourvu que votre bourse se desserre.
Les clercs étudiants
Qui dissipent le gain
Que leur père gagne.
Eux, vont caressant les filles.
En suivant les rivières.
Sans se soucier à qui le blé manquera.
Car ils vont se promener et divertir,
Tandis qu'ils devraient repasser.
Ils apprennent l'escrime.
Mais ils ne savent ni lire ni chanter
A l'autel, non point;
Ni davantage dire l'office de prime,
Bien qu'ils aient le sommet de la tête rasé.
De tous les clercs il me fait peine :
Je les vois si pleins d'orgueil
Qu'on ne peut en dire du bien.
Je vois leurs méfaits à l'œil nu,
Mais je ne veux pas le dire.
J'ai assez dit sur eux mon opinion.
Je les trouve si mauvais, certes,
Qu'il me déplaît
Qu'ils lèvent les dîmes.
Dieu, qui fut percé de clous.
Les rende bons - si cela lui plaît -
Puisque je trouve, moi, tellement faux,
Ses mauvais vicaires.
Je vois le roi faillir:
Il a avec lui des gens sans loi,
Et c'est l'image de l'erreur.
Il est en faute davantage, je le vois,
Parce qu'il ne maintient pas. un an durant.
Exactement mesures et balances,
Et en faute parce qu'il veut lever
Des subsides et changer, À quelque moment, les monnaies ;
De la communauté il veut rompre
Et changer les coutumes ;
Il veut tellement tondre ses brebis
Qu'il ne leur laisse pas de poils.
Les trésoriers et les baillis,
Les juges et les mauvais sergents
Trompent tout le monde ;
Où qu'il soit, chacun d'eux
Vit de vol et ils volent
Le droit du seigneur.
Ils cherchent le mal tout le temps.
Ils ont ruiné de nombreuses maisons à tort,
Sans qu'elles eussent forfait.
Tous puent comme fumier,
Et, certes, tous ensemble
Ne valent pas deux dés ;
Je voudrais qu'ils fussent noyés.
Nous voyons parmi nous
La noblesse nécessiteuse.
Tellement qu'ils vendent leur terre
Et que s'accroît leur dépense.
Mais ils sont si orgueilleux
Que rien ne leur plaît que guerre.
Ils achètent avec emprunt
Et puis payent si malaisément
Qu'on prend leur bien en caution.
Nous voyons très facilement
Qu'ils déchoient fort vite.
Je ne connais dans la noblesse
Que mal et dommage.
Les marchands font l'usure,
Car ceux qui vendent un œuf,
Ils en veulent l'espoir d'autant.
Ils font de blé vieux blé nouveau.
Et du veau, un bœuf;
Et leurs fils font de la figue une poire.
Le faux marchand « boit » le pauvre.
Quand il lui doit
Et qu'il se plaint de l'usure.
Chaque jour le créancier prend sur son bien
Jusqu'au moment où il dit : «
Tout est à moi
Et l'étame et la trame. »
Alors le malheureux se lamente.
Les artisans ribauds
Sont si avisés pour le gain
Que, pour cela, ils falsifient leurs ouvrages.
Ils vendent si adroitement
Et élèvent le prix si haut
Qu'ils trouvent de larges bénéfices.
Ils vendent sans faire grâce.
Et disent : «
Par ma foi !
À un autre je ne le donnerais pas,
Même quand il payerait tout de suite. »
Ils vous conteront bien
Ce que le prix vous ferait gagner !
À ma volonté
Dieu s'en vengerait.
Il y en a, des hommes de peine.
Qui savent tant de tromperie
Que
Dieu veut que peu de bien leur reste.
Chacun vole chaque année
De la dîme peu ou beaucoup :
Il en recouvre sa semence.
Jamais vous ne verrez aucun
De ces habillés de gros drap brun
Sinon avec une langue bavarde,
Car ces «taille-commun », (vole-public).
Disent du mal de chacun.
Ce serait gent trop arrogante.
S'il n'y avait la pauvreté.
Ces pauvres mendiants
Vivent tous des riches
Et ne les aiment guère.
Mais assurément, je vous dis, moi,
Qu'ils sont si injustes
Que sans cesse ils les diffament.
Quand le riche éprouve du dommage.
Cela plaît fort au pauvre,
Et cela lui sert d'arme contre lui.
Ni pain ni vin, ni vêtement non plus,
Ces gens n'auraient point, par mon chef;
Mais ils sentiraient la pointe de la guisarme.
Si ce n'était pour mon âme.
Les jongleurs ont vite appris
Couplets, et aussi petits vers,
Chansons et « basses danses ».
Tout ce qu'ils disent est inexact,
Car ils ne font point attention :
C'est pourquoi ils font de grandes fautes.
Les jongleurs vivent de supercherie
Et sont de mauvaise conduite.
C'est l'Ennemi qui les gouverne :
Ils gagnent l'enfer.
L'été, et aussi l'hiver,
Vous n'en verrez pas un trio
Qui n'aillent pas à la taverne.
Des hôteliers j'ai mépris:
Si vous voulez un
Ut,
Ils voudront d'avance le paiement.
Ils volent le demi tarif payé ;
Ils y prendront grand plaisir,
Car, bien qu'ils en aient une bourse.
Si vous voulez pain et vin,
Mettez l'argent en main.
Aussitôt, à leurs domestiques ;
Alors vous en aurez de mauvaise qualité,
Plus cher que n'est le safran.
Pour un denier la valeur d'une maille :
Beaucoup leur plaît la gent sotte.
Regardez à fond
Tous les gens de ce monde :
En tous je trouve faute ;
Ce qui est du bas je le vois en haut :
Car l'un détruit l'autre ;
Chacun querelle tout le monde.
Celui qui est bien vêtu
Est partout accueilli.
Même s'il était un voleur ;
Et le malhabillé
Est le moins prisé,
Fût-il prédicateur,
Pape, ou empereur.
Je ne veux pas dire plus de mal,
Mais si l'on veut monter plus haut,
Sur le saint arbre de vie,
Que chacun s'efforce bien
De faire une bonne conclusion
Et une bonne fin.
Tous les mauvais seront bons
S'ils renoncent à la faute ;
Et que chacun se purifie ;
Et ainsi, que
Dieu me pardonne.
J'ai dit le mal pour être utile,
Afin que le méchant ne se fasse pas pire.
Et que le bon s'améliore.
Ah !
Reine des cieux,
Beaucoup plus douce que le miel,
Prépare-moi le paradis.
Dame, fais-nous fidèles,
Loyaux comme fut
Abel.
Le monde entier,
Dame, veille
En toi,
Rose vermeille.
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012