L'homme qui vient d'atteindre l'âge où il doit bientôt se quitter
Saisira toute occasion de rester seul à seul avec lui-même.
(Cet âge où l'avenir n'est que d'une semaine, renouvelable par arbitraire reconduction.)
Une fois, ayant traversé, venu du métro
Blanche, le pont
Caulaincourt,
Puis erré poétiquement en des lieux qui nous avaient vus jadis avec des girls de cabaret.
L'aristocratique
Pierre
Herbart et moi-même, étincelants de nos dix-huit années,
Je suis redescendu pour visiter la sépulture qui sera un jour ma prison.
Toute neuve, dans la partie sud-est du cimetière
Montmartre longeant la rue
Joseph de
Maistre,
Non loin des cendres rassurantes du danseur
Vestris et de sa femme, qui jouait les princesses de tragédie en .
Comme je regardais ma pierre tombale, sans millésime, sans nom ni prénom gravés en or,
Il me vint fantasquement à l'esprit que, vivant, j'étais en quelque sorte broché.
Conscrit de
Perséphone soudoyé par l'évidence.
Mais que relié je serai demain dans ce granit albigeois.
Puis à mon livre je songeai : chaque phrase vingt fois récrite,
Parce qu'il n'est rien d'ineffable au prix d'un long acharnement.
Alors cette idée du poème : moins intraitable que la vie, il permet qu'on le recommence.
Le jour s'affaiblissait autour des chapelles ruinées.
«Bonne nuit, doux prince», dis-je à mes mânes futurs.
Je m'éloignai du plus spectral des cimetières, avec la lèpre de ses dalles et ses bivouacs d'arbres perdus.
C'était en l'immobile octobre.
A pas lents, je marchai dans la ville.
Rue
Pigalle, je crus voir se dresser, aussi haute que les maisons, l'image d'un objet funestement'aimé.
Elle reprit mesure humaine, pâle fille vêtue de sombre, debout contre un vitrail aux lueurs proxénètes.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012