Si Malines est bien une ville de Belgique, la maline qui donne le nom au poème est ici mal orthographié volontairement par Rimbaud. La maline est bien cette serveuse de restaurant qui use de toute son habileté pour retenir les clients. Ici l'image traque le réel jusqu'à le rendre irrationnel. La serveuse fait sa moue pour mieux séduire ses clients comme Rimbaud utilisera la colère pour se faire entendre. Deux méthodes semblables pour le même but.
La Maline est le 19ème poème sur les 22 des premières poésies de Rimbaud contenues dans le recueil "Le cahier de Douai". La Maline figure dans le second cahier des poèmes composé exclusivement de sonnets alors que le premier cahier n'en contenait que cinq sur quinze. Ce sonnet a plusieurs points communs avec "Au Cabaret-Vert", "Cinq heures du soir". Tout d'abord ils relatent tous l'épisode de la fugue de Rimbaud à l'automne 1870, en octobre après son séjour en septembre à Douai chez les les tantes de Georges Izambard, jeune professeur du collège de Charleville qui lui fera découvrir les parnassiens et pour lequel il avait une grande amitié. Après avoir recopié ses premiers poèmes, il erre seul dans la campagne ardennaise où il fréquente les cafés et les auberges qui entourent la frontière franco-belge. Le cadre est ici une auberge en Belgique, une auberge de routiers dans laquelle l'unique serveuse essaye d'obtenir la sympathie des clients de passage. Avec les autres poèmes il partage les mêmes personnages, le narrateur Rimbaud et une jeune servante, qui lui fait des avances. On retrouve les conditions de l'écriture de Rimbaud, il sent et il traduit par écrit ce que lui communiquent ses sens. On a donc ici les odeurs chaudes et parfumées d'une cuisine de campagne. On trouve dans ces sonnets un même climat de sensualité, de contentement des sens, dû aux attraits conjugués de la nourriture, d'une présence féminine, et du repos. Comme Verlaine, à la façon d'un peintre, Rimbaud fixe le cadre, la salle à manger d'un restaurant, sombre par la couleur "brune", s'en évade des odeurs de tables cirées, de parfum de fruits, on lui apporte un repas. Puis par une succession de plans rapprochés il fait le panorama des lieux, une horloge, une porte de cuisine puis un personnage qui apparaît, la serveuse. La serveuse tapote sur sa joue pour demander un baiser.
Dans la salle à manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m’épatais dans mon immense chaise.
En mangeant, j’écoutais l’horloge, – heureux et coi.
La cuisine s’ouvrit avec une bouffée,
– Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitié défait, malinement coiffée
Et, tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc,
En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue,
Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m’aiser ;
– Puis, comme ça, – bien sûr, pour avoir un baiser, –
Tout bas : " Sens donc, j’ai pris ‘une’ froid sur la joue… "
Poème publié et mis à jour le: 31 July 2022