Poèmes

Iambes, Varsovie

par Auguste Barbier

I la guerre:

Mère! Il était une ville fameuse:

Avec le hun, j' ai franchi ses détours,

J' ai démoli son enceinte fumeuse,

Sous le boulet j' ai fait crouler ses tours,

J' ai promené mes chevaux par les rues,

Et sous le fer de leurs rudes sabots

J' ai labouré le corps des femmes nues

Et des enfants couchés dans les ruisseaux;

J' ai sur la borne, au plus fort du carnage,

Brutalement et le front tout en nage,

Le corps frotté de suif et de saindoux,

Sur un sein vierge essuyé mon poil roux;

Puis j' ai traîné sur mes pas l' incendie,

Et le géant hurlant matin et soir,

A nettoyé de sa langue hardie

Les vieux moellons inondés de sang noir.

Houra! Houra! J' ai courbé la rebelle,

J' ai largement lavé mon vieil affront,

J' ai vu des morts à hauteur de ma selle,

Houra! J' ai mis les deux pieds sur son front.

Tout est fini, maintenant, et ma lame

Pend inutile à côté de mon flanc,

Tout a passé par le fer et la flamme,

Toute muraille a sa tache de sang:

Les chiens vaguant sur leurs maigres échines,

Dans les ruisseaux n' ont plus rien à lécher,

Tout est désert, l' herbe pousse aux ruines;

Ô mort! ô mort! Je n' ai rien à faucher.

Ii le choléra-morbus:

Mère! Il était un peuple plein de vie,

Un peuple ardent et fou de liberté...

Eh bien! Soudain des champs de Moscovie

Je l' ai frappé de mon souffle empesté

Alors, alors, dans les plaines humides

Le fossoyeur a levé ses grands bras,

Et par milliers les cadavres livides

Comme de l' herbe ont encombré ses pas.

Mieux que la balle et les larges mitrailles,

Mieux que la flamme et l' implacable faim,

J' ai déchiré les mortelles entrailles,

J' ai souillé l' air et corrompu le pain;

J' ai tout noirci de mon haleine errante,

De mon contact j' ai tout empoisonné,

Sur le téton de sa mère expirante

Tout endormi j' ai pris le nouveau-né.

J' ai dévoré même au sein de la guerre

Des camps entiers de carnage fumants,

J' ai frappé l' homme au bruit de son tonnerre,

J' ai fait combattre entre eux des ossements;

Enfin, partout l' humaine créature

Sur un sol nu, sanglant et crevassé,

Gît maintenant pleine de pourriture,

Comme un chien mort au revers d' un fossé;

Partout, partout, le noir corbeau béquète,

Partout les vers ont des corps à manger;

Pas un vivant, et partout un squelette...

Ô mort! ô mort! Je n' ai rien à ronger.

Iii la mort:

Tristes fléaux, créatures hideuses,

Oh! Mes enfants, de moi que voulez-vous?

Cessez, cessez vos plaintes hasardeuses,

Et sur la pierre étendez vos genoux.

Le sang toujours ne peut rougir la terre,

Les chiens toujours ne peuvent pas lécher,

Il est un temps où la peste et la guerre

Ne trouvent plus de vivants à faucher;

Il est un jour où la chair manque au monde:

Où, sur le sol, le mal toujours ardent,

Comme sur l' os d' une charogne immonde

Ne trouve plus à repaître sa dent.

Enfants hideux, couchez-vous dans mon ombre,

Et sur la pierre étendez vos genoux,

Dormez, dormez! Sur notre globe sombre

Tristes fléaux, je veillerai pour vous.

Dormez, dormez! Je prêterai l' oreille

Au moindre bruit par le vent apporté,

Et quand de loin, comme un vol de corneille,

S' élèveront des cris de liberté;

Quand j' entendrai de pâles multitudes,

Des peuples nus, des milliers de proscrits,

Jeter à bas leurs vieilles servitudes,

En maudissant leurs tyrans abrutis;

Enfants hideux, pour finir votre somme

Comptez sur moi, car j' ai l' oeil vide et creux,

Je ne dors pas, et ma bouche aime l' homme

Comme la fièvre aime le malheureux.

Décembre .



Poème publié et mis à jour le: 13 November 2012

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