Gofridus a trente ans, il est tailleur de pierre.
Mais pas coupeur de blocs ! lui connaît la manière
De modeler du beau : il sculpte des ramures,
Des animaux, des fruits, des feuilles, des figures…
Il sait l’art d’animer l’inerte minéral
Pour montrer bonnement, ou bien par paraboles,
Les terreurs, les espoirs, la vie, le bien, le mal…
Dans son Å“uvre se lisent messages et symboles.
En hauts ou bas-reliefs, il forge des démons,
Des hommes grimaçants, des diables à écailles,
Des faces angoissées en rangs de modillons,
De pauvres âmes nues, des monstres en batailles…
Des ornements fleuris, des êtres symétriques,
Des sirènes béates, des couples enlacés,
Des vergers fabuleux, des visions oniriques,
Des groupes de danseurs, de doux lions ailés…
L’homme double chassant son animalité,
Le serpent licencieux vaincu par la parole,
Les vices et vertus, maux et félicités,
Les signes zodiacaux, les travaux agricoles…
Gofridus n’a qu’un nom, pas de nom de famille,
Se vêt de braies, chainse, chausses et peliçon,
De brodequins montant jusque sur ses chevilles,
Et rajoute en hiver mantel et chaperon.
Il ne connaît tomates ni pommes de terre 1,
Il se nourrit de choux, navets, fèves et raves,
Il boit de l’hydromel, du verjus, de la bière,
Et dort sur sa paillasse du sommeil des braves.
Le rythme de sa vie est celui du soleil
Qui donne le tempo, en fonction des saisons,
Des heures de travail, des heures de sommeil,
Des moments de loisirs, des moments d’oraison.
Pas banal tâcheron, Gofridus est artiste,
Sur maints sujets moraux pédagogue savant,
Maître argumentateur, érudit humaniste…
Il est l’un des génies qui durant trois cents ans
De leur époque étaient vrais documentaristes,
Et ont glorifié le puissant art roman. 2
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1 Elles ne seront introduites en France qu’au XVIIIe siècle.
2 « GOFRIDUS ME FECIT » (Gofridus m’a fait) est une inscription visible sur l’un des chapiteaux historiés de la collégiale romane Saint-Pierre, à Chauvigny (Vienne). Rien ne prouve que ce nom soit celui du sculpteur ; il peut aussi être celui de l’architecte, du commanditaire, ou de tout personnage important en lien avec la construction de l’édifice.
La formule « ME FECIT » suivant un nom de personne n’est pas rare au Moyen Âge ; nous pouvons la lire aujourd’hui sur des artefacts divers tels qu’éléments d’architecture, statuaire, cloches, horloges…
Au sujet de Anny Martine-B.
A Propos
Bonjour à tous. Amoureuse de la langue française, que j’ai enseignée, des langues anciennes d’oïl et d’oc, de la nature et de la gent animalière, passionnée de poésie et d’art, de passé et d’histoire… je suis auteure de poèmes (ma poésie est multiple : paisible, émotionnelle, humoristique, témoignage…), et d’anthologies poétiques thématiques (commentées, et axées sur l’humain et le plaisir, non sur la technique et la rigueur) — tous ouvrages minutieusement illustrés (« Mes 100 Petits Poèmes », «Toutes sortes d'amour deviennent poésie », « Le poète et l'animal », « Poètes coquins », « Poèmes d'Amour des Troubadours et des Trouvères : Anthologie bilingue langue d'oc et langue d'oïl – français moderne », etc) —. Que vos lectures vous soient douces ! [mon site : https://www.anny-martine-b.net]
Poème publié et mis à jour le: 09 December 2019