Poèmes

Épître a Lebrun

par Marie-Joseph Chénier

Digne enfant d'Apollon, successeur des
Orphées,
Toi, par qui de nos jours les neuf savantes fées.
Malgré tant de
Cotins, soi-disant immortels.
Ne verront point encor s'écrouler leurs autels ;
Si tu hais, cher
Lebrun, les auteurs à la glace,
Aimes-tu mieux, dis-moi, le délire et l'audace
D un poète ignorant qui, sans règle et sans art,
En ses vagues écrits ne suir que le hasard ?

Quand la belle
Pandore, à la voix du génie,
Reçut en même temps la jeunesse et la vie,
Jupiter, du prodige et confus et jaloux,
Accabla son vainqueur d'un éternel courroux.
Chassé du ciel, privé même de la lumière,
Aucun dieu ne daigna consoler sa misère :
Tous, de leur souverain lâches adulateurs.
Maudirent à l'envi l'objet de ses rigueurs.
Mais la raison n'eut point cette indigne faiblesse :
Brûlante d'une auguste et sublime tendresse,
Elle suit le génie ; et sa prudente main
Aux pas de cet aveugle enseigne le chemin. À son guide échappé, quelquefois de ses ailes
Il affrontait encor les voûtes éternelles ;

Heureux, quand, mieux que lui veillant à son bonheur,
La raison modérait cette bouillante ardeur!
Enfin, désabusé du séjour du tonnerre,
Cet illustre banni descendit sur la terre.
La raison l'y suivit ; et bientôt les mortels
Devinrent confidents des secrets éternels.

ô vous, qui recherchez les principes des choses.
Les sublimes effets et les sublimes causes,
Le calcul infini qui forma l'univers,
Et l'espace, et le vide, et les mondes divers,
De ce tout merveilleux l'éternelle harmonie ;
Sachez vous méfier de l'aveugle génie ;
Adorez la raison, et consultez sa voix.

Et vous, qui d'Apollon suivez les douces lois,

Si vos efforts heureux quelquefois sur la scène

Ressuscitent encor
Thalie et
Melpomène,

Ou si d'un vol plus haut vos chants audacieux

Célèbrent les combats, les héros et les dieux,

Que la raison sans cesse à vos écrits préside ;

Ne vous écartez point de ce fidèle guide.

Non qu'il faille blâmer ces généreux transports

Qui du cygne thébain animent les accords :

Aux banquets d'Apollon quand tu touches la lyre,

Ô
Lebrun, sous tes doigts tout
Pindare respire ;

Émule de
Rousseau, peut-être son vainqueur,

À peine mes regards mesurent ta hauteur ;

Mon âme, en un moment sur tes pas élancée,

Ne voit plus que par toi, ne suit que ta pensée ;

Et, ne pouvant me perdre avec toi dans les cieux.

Je t'applaudis au moins et du geste et des yeux.

Mais que tu sais unir la sagesse à l'audace !

Dans tes vers, tour à tour pleins de force ou de grâce,

Tantôt j'entends gronder les aquilons fougueux.

Et tantôt soupirer les zéphyrs amoureux.

Tu chéris la raison : ton audace immortelle

À ses divins accents jamais ne fut rebelle ;

Non pas cette pédante et lourde déité

Que l'on nomme raison chez la stupidité ;

Qui, jusque dans mes vers, d'un compas tyrannique.

Introduit chaque jour l'esprit géométrique,

Et plus d'une fois même à son humble niveau

Prétendit rabaisser et
Corneille et
Boileau;

Mais la raison sublime, à l'âme grande et fière,

Dont l'œil suit aisément l'aigle dans la carrière ;

Compagne de
Newton, quand, d'un vol glorieux,

Mortel il pénétra dans le conseil des dieux.



Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012

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