Paris 61 dix-sept octobre on est à l'heure grise
où le pays se met à table en disant c'est l'automne
lorsque silencieux venus des bidonvilles et cagnas
des
Algériens français sur le soir envahissent
de leur foule entêtée les boulevards ils n'aiment pas
ce couvre-feu qui les traite en coupables
décidément ça fait trop d'Arabes qui bougent
le
Pouvoir envoie ses flics sur tous les ponts
nous montrer qu'à
Paris l'ordre règne
il pleut sur les marcheurs et sur les casques il va pleuvoir
bientôt sur les cris pleuvoir sur le sang
Sur
Ahcène
Boulanouar
battu puis jeté à l'eau
en chemise et sans connaissance
vers
Notre-Dame il fait noir
le choc le réveille il nage
la
France elle en est à la soupe
Et sur
Bachir
Aidouni
pris avec d'autres marcheurs
lancés dans l'eau froide aller simple
de leurs douars jusqu'à la
Seine
Bachir seul retouche au quai
la
France elle en est au fromage
Sur
Khebach avec trois autres qui tombent depuis le pont d'Alfortville on l'aura cogné moins fort puisqu'il en remonte les frères où sont-ils passés la
France elle en est au dessert
Et sur les quatre ouvriers menés d'Argenteuil au
Pont
Neuf pour y être culbutés dans l'eau noire en souvenir de nous un seul va survivre la
France elle en est à roter
Et sur les trente à
Nanterre roués de coups précipités depuis le pont dit du
Château quinze à peu près vont au fond tir à vue sur ceux qui nagent la
France elle est bonne à dormir
Paris terre promise à tous les rêveurs des gourbis
leur
Chanaan ce soir est dans l'eau sombre
ils ont gémi sous la pluie mains sur la nuque
c'est mains dans le dos qu'on en retrouve ils flottent
enchaînés pour quelques jours à la poussée du fleuve
c'est la pêche miraculeuse ah pour mordre ça mord
on en repêche au pont d'Austerlitz
on en repêche aux quais d'Argenteuil
on en repêche au pont de
Bezons la
France dort
on repêche une femme au canal
Saint-Denis
les rats crevés les poissons ventre en l'air les godasses
ne filent plus tout à fait seuls avec les vieux cartons
et les noyés habituels venus donner contre les piles
on peut dire qu'il y a du nouveau sous les ponts
la
Seine s'est mise à charrier des
Arabes
avec ces éclats de ciel noir dans l'eau frappée de pluie
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012