De temps en temps dans ma boutique fumeuse
entre un personnage étonnant de rêverie
le client égaré,
regarde et lit,
demande un kilo
de rimes,
d’hypotyposes
cinq cents grammes de périphrases, des échantillons d’anadiploses au tout venant
et parfois de la prose
mais pas trop rose,
- Combien ça coûte, ce sonnet ?
- Si l’on tient compte des lois de l’offre et de la demande ? soupirai-je,
- Heu, plutôt à la production ? demande le rêveur effrayé,
- Le coût de la main d’œuvre,
plus les heures volées
par le labeur,
une matière ingrate, comme la vie,
Ah ! Cher monsieur,
fis-je de dépit,
tout l’argent de la lune n’y suffira pas,
Le client égaré ne se départit pas
-J’aimerais, s’il vous plaît,
du rire incongru
des hyperbates crues
un calembour à rebours
de la brûlure d’étoiles dans les yeux des amants déments,
de l’extrait raffiné de la joie ressentie à l’approche des vacances,
... et aussi de l’arc-en-ciel en poudre, s’il vous en reste !
-Voilà, je les ai distillés, j’en ai ôté
le froid qui engourdit la plume
j’ai effacé ce creux à l’estomac par supplément d’ingrédients hyperboliques
vous ne sentirez pas non plus
le goût du désespoir, il a disparu par le jeu des litotes et des hypallages opérées dans les recoins mal éclairés d’un troquet, Boulevard des Lunatiques,
vers légers pour vous transfigurés, avec trente et un virgule soixante-neuf pour cent de réduction.
-Dites-moi, tous ces efforts, tout ce travail
combien cela me coûtera-t-il ?
-Désolé de vous faire cet affront, mais on nous oblige aussi
à faire payer à nos clients
une Taxe sur le Bonheur Ajouté,
Car les poèmes coûtent cher au gouvernement qui passe beaucoup de son temps
à faire semblant de mettre en plan le monde entier à notre place, et qui sur toute chose ne se retient pas de donner son avis, par exemple qu’il ne faut pas faire porter
au contribuable le coût de nos poèmes.
Je ne vous cache pas pourtant
que l’activité la plus dure
qui consiste à croiser le fer
avec les rimes, avec le temps,
c’est une bataille, une vraie guerre d’usure
où les jours et où les heures
finissent vaincues par le tourment
au fond d’un vieux tiroir
Hé oui, mon cher, écrire des vers est vu comme une activité séditieuse
une paresse sans bornes
aux yeux des braves gens !
Nos poèmes sont l’objet
d’une malédiction spéciale
Vous voulez les chanter, il faut payer
le son du madrigal
pour lequel j’ai passé
de si longues nuits
à chasser
dans les forêts obscures
du sentiment lointain
au petit matin
une émotion particulière
à grand-peine descriptible
dans la besace des mots
parfois
même un chagrin.
Je vous les sers
dans un papier blanc
de qualité ordinaire, ou dans un parchemin ?
- Mais dites-moi donc, s’impatiente le rêveur, combien pour ce poème ?
- Trois sous, monsieur, comme à l’opéra !