Dans une des régions
les plus raréfiées de l'esprit
où je campais au pied de la lettre
à une altitude de nul pied
plane un petit nombre
d'idées très particulières
qu'il eût été dommage de ne pas saisir
au vol de mes distractions
Je faillis ne pas les apercevoir tant elles étaient creuses au milieu d'oublis et de vertiges sans nom
L'une d'entre elles
attira notamment mon attention
non pas pour la beauté de sa démarche
d'une indistinction certaine mais à cause de ses yeux longs et minces
que j'ai pris pour des antennes de sauterelle
Je me penchais, alors, et reconnus
une de ces idées à capuchon vert
qui prennent les hommes au dépourvu
Elles ne sont pas
égarantes, au contraire
mais le traitement qu'elles font subir
aux penseurs est si étrange
qu'il faut décrire en détail
le dispositif destiné à les captiver
La paupière du milieu, car
elle en a plusieurs
est inclinée en arrière, à la base
en sorte qu'elle se trouve tout contre
la paupière supérieure
et lui est partiellement accolée
Deux paupières latérales
sont réunies sur la moitié
de leur longueur
de manière à former comme
une fourchette dressée en l'air
C'étaient les extrémités effilées de celle-ci
que je pris pour les antennes d'une sauterelle
La prunelle encapuchonnée s'appuie sur elles
Ainsi tout l'œil de l'idée se présente dans la position inverse du regard
Il semble également en veilleuse car il ne s'ouvre que rarement
L'acte de regarder s'accomplit à l'intérieur
de manière fugitive et constante et lorsqu'il s'accomplit ne fait que s'avancer entre les fourchettes
On ne s'attendait certes pas mais c'est pourtant à cet endroit que s'est posé naturellement mon regard
car il n'y a pas d'autres voies pour y pénétrer
L'irritabilité en fut extrême
Même le souffle d'une pensée ou un minuscule battement de cœur le font se retirer à l'intérieur comme mû par un ressort
entraînant le regard du penseur et obturant encore plus la lourde trappe mentale
A peine aspiré au fond de l'œil
mon regard entreprit de se frayer
un chemin vers le haut
Il fait plus clair au sommet
là où les extrémités des paupières
sont repliées sur elles-mêmes
C'est sans doute la raison pour laquelle
j'ai pu voir mon regard ramper dans toutes les directions à la fois
le seul moyen d'y parvenir étant de n'y plus penser
(Il n'y avait pas beaucoup d'espace à l'intérieur de l'idée)
Arrivé en haut
il se frotte nécessairement
contre soi-même
et reste le plus attaché
à sa manière de voir
qui n'est plus tout à fait la même
Toute cette étrange manœuvre qui recommence aussitôt dans l'autre œil ne donne lieu apparemment à aucun échange de vues
Il se peut cependant que nos regards trouvent au double fond de l'œil quelque peu d'une sécrétion visionnaire
Espérons que cette compensation
au moins
leur soit accordée
Eux qui normalement
se laissent fasciner
tout de suite
étaient comme aveuglés
par des larmes secrètes
et des gémissements saccadés
sortaient de leurs orbites
On comprendra
que ce soit là un exemple
extrême, à perte de vue
Quand au long regard il n'arrive presque jamais à pénétrer dans l'œil de l'idée, il n'y a d'ailleurs rien pour l'y attirer
Seuls les voyeurs à courte vue en dépit des chocs plutôt rudes à l'entrée
subissent un traitement plus doux et on les laisse se retirer au bout d'une demi-heure ce qui vaut mieux que d'être retenu à vie
On trouve pour certains
un exemple de long emprisonnement
C'est l'acte de cesser de regarder
qui déclenche
le mécanisme de libération
mais les voyous
ne procèdent pas toujours
progressivement
et, s'il se produit
le moindre contretemps
l'œil de l'idée ne s'ouvrira plus
L'idée que j'ai vue était ainsi
Son œil était privé de lumière mais il dégageait une lueur masquée qui attirait
A moins que les glandes idéatives
ne sécrètent quelque suc invisible
qu'elles peuvent opposer
de temps en temps
les regards entrent
sans rencontrer d'obstacle
Ils ont pour ce faire à descendre le long du clignotement par les deux cercles de cils raides qui poussent inclinés vers le bas
Les regards peuvent passer
en pressant contre
les extrémités plus flexibles
mais il leur est impossible
de revenir en arrière
car ces extrémités
ne sont inclinées que d'un côté
Ils se trouvent alors
dans une petite chambre
au milieu de la vision même
et tandis que pris de panique
ils font des efforts pour sortir
ils se couvrent d'images
C'est alors que se révèle
le côté fascinant de la trappe
car aussitôt
qu'une quantité d'images
suffisantes pour émerveiller l'œil
surgit, les zones de cils
se détendent, se contractent et finalement se recroquevillent plus rien dans ces conditions n'empêche les penseurs de prendre leur liberté
II peut se passer
deux ou trois jours
avant qu'ils soient relâchés
car déclencher les images
par petits à-coups
ne suffit pas
pour ouvrir l'œil (la trappe)
et la distribution de non-images
doit se faire
perpétuellement
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012