Poèmes

Ballade de Florentin Prunier

par Georges Duhamel

Il a résisté pendant vingt longs jours
Et sa mère était à côté de lui.

Il a résisté, Florentin Prunier,
Car sa mère ne veut pas qu’il meure.

Dès qu’elle a connu qu’il était blessé,
Elle est venue, du fond de la vieille province.

Elle a traversé le pays tonnant
Où l’immense armée grouille dans la boue.

Son visage est dur, sous la coiffe raide;
Elle n’a peur de rien ni de personne.

Elle emporte un panier, avec douze pommes,
Et du beurre frais dans un petit pot.

***

Toute la journée, elle reste assise
Près de la couchette où meurt Florentin.

Elle arrive à l’heure où l’on fait du feu
Et reste jusqu’à l’heure où Florentin délire.

Elle sort un peu quand on dit: « Sortez! »
Et qu’on va panser la pauvre poitrine.

Elle resterait s’il fallait rester:
Elle est femme à voir la plaie de son fils.

Ne lui faut-il pas entendre les cris,
Pendant qu’elle attend, les souliers dans l’eau?

Elle est près du lit comme un chien de garde,
On ne la voit ni manger, ni boire.

Florentin non plus ne sait plus manger :
Le beurre a jauni dans son petit pot.

***

Ses mains tourmentées comme des racines
Étreignent la main maigre de son fils.

Elle contemple avec obstination
Le visage blanc où la sueur ruisselle.

Elle voit le cou, tout tendu de cordes,
Où l’air, en passant, fait un bruit mouillé.

Elle voit tout ça de son œil ardent,
Sec et dur, comme la cassure d’un silex.

Elle regarde et ne se plaint jamais:
C’est sa façon, comme ça, d’être mère.

Il dit: « Voilà la toux qui prend mes forces. »
Elle répond: « Tu sais que je suis là! »

Il dit: « J’ai idée que je vas passer. »
Mais elle: « Non! Je veux pas, mon garçon! »

Extrait de: 
1920, Élégies



Poème publié et mis à jour le: 13 August 2019

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